Attali tente d'écrire une histoire économique du peuple juif. Sujet difficile et sulfureux puisque cette question est à l'origine, depuis des siècles, de nombre de polémiques, d'injustices, de légendes et de massacres. Attali reprend la thèse que Max Weber exprimait dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, selon laquelle l'éthique d'une culture particulière est à l'origine directe d'un système économique : Weber considérait ainsi que la morale protestante des anglais et hollandais aux XVIe-XVIIe siècles permet l'émergence du capitalisme moderne. Pour Attali, l'éthique hébraïque serait l'origine plus ancienne d'un rapport complexe et moderne à l'argent.
L'ouvrage a pu être critiqué pour une certaine partialité, mais il a le mérite, par sa prise de position, de faire pencher la balance de l'histoire d'un côté jusqu'ici méprisé ou ignoré. En outre, Jacques Attali ne s'appuie pas que sur son érudition encyclopédique, mais aussi sur une solide bibliographie, et son argumentation se tient (notamment la critique de Weber et de Marx) (...)
[...] Selon certains rabbins, l'intérêt doit être très bas pour éviter de susciter les jalousies. Pour d'autres au contraire, il doit être élevé pour limiter les sommes prêtées et couvrir les risques. Beaucoup sont aussi les rabbins qui tentent de décourager leurs coreligionaires de pratiquer le prêt à intérêt, jugé dangereux. En Europe de l'Est, où les Juifs sont bien mieux tolérés, le prêt à intérêt évolue vers de véritables activités bancaires modernes : les banquiers Juifs gèrent et placent l'argent de leurs clients chrétiens. [...]
[...] Le salut est surtout en Amérique, où l'émigration juive est très forte. Ils sont 3000 aux Etats-Unis en en 1840 ; en 1910, les Etats-Unis abritent la 3e communauté juive du monde (environ 1,8 millions de personnes, contre 5,2 millions en Russie et 2 millions en Autriche-Hongrie). Quelques familles sont à la pointe de la modernisation du pays (Rotschild, Lehman, Seligman, Goldman), même si 95% des Juifs américains sont de modestes commerçants ou artisans. Même chose en France, où la révolution industrielle du Second Empire doit beaucoup à quelques Juifs : les Pereire, Fould, Rotschild. [...]
[...] A mi-chemin entre l'antijudaïsme chrétien et l'antisémitisme moderne, Voltaire écrivait ainsi dans le Dictionnaire philosophique : les Juifs sont un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition On trouve dans cette phrase l'amalgame entre les fantasmes économiques et religieux. Karl Marx jette les premières bases de l'antisémitisme économique moderne, dans Sur la question juive (1844) : il assimile le Juif à l'exploiteur capitaliste. Le Juif de la diaspora, réputé apatride, n'aurait donc que le capitalisme pour patrie et l'argent pour dieu. Engels, pourtant, regrette que l'antisémitisme progresse aussi vite dans la classe ouvrière, et considère que ce sentiment est surtout exacerbé par la bourgeoisie pour détourner les ouvriers de l'anticapitalisme. [...]
[...] Une nouvelle puissance émerge, au sein de laquelle les Juifs vont trouver un environnement plus tolérant : l'Islam. En Judée (Jérusalem est prise en 638), les Juifs accueillent les musulmans comme des libérateurs et obtiennent de participer à la nouvelle administration. Les conquérants considèrent tous les non-musulmans comme des minorités à protéger : aucun emploi ne leur est interdit, ils ont la liberté d'aller et venir, la liberté de culte (à condition que leurs lieux de culte ne soient pas plus grands que les bâtiments musulmans voisins). [...]
[...] D'autres émigrent vers l'Occident, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas. Car le XVIIIe siècle marque un retour de la tolérance dans la plupart des pays occidentaux. Les Juifs reviennent en France, en Italie ; en Allemagne, en Autriche, réapparaissent les Juifs de cour qui ont la capacité de prêter aux princes ; ce sont des séfarades fraichement installés, car les ashkénazes apparaissent comme bien plus pauvres que leurs cousins. Malgré quelques mesures ségrégatives, il n'est plus question d'expulsion : les communautés juives deviennent durables et participent à l'essor économique des nations occidentales. [...]
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