France, 1848 : abolition de l'esclavage. Si cet événement sonne le glas de plusieurs siècles de souffrances, d'exploitations et d'injustices, cela n'a pas été fait sans peine. Il aura fallu des années de luttes acharnées, de résistances, tant du côté des noirs que des blancs, pour parvenir à cette libération. Mais que l'on ne se méprenne pas, exprimer une opinion favorable à l'émancipation des esclaves des colonies n'a pas impliqué seulement un engagement d'ordre politique. D'autres voies sont ouvertes à cette revendication, et notamment celle de l'expression littéraire. Au XIXème siècle, la conscience sociale se fait de plus en plus ressentir à travers la présence fréquente de l'homme Noir dans la littérature d'imagination. Il a une valeur exemplaire pour tous les écrivains. Les sentimentaux voient en lui la victime du malheur, d'une fatale destinée, l'exilé dans un monde injuste, il devient une sorte de symbole. Chez les romantiques, il est un surhomme oscillant entre cruauté et dévouement sublime. Ce personnage intéresse également les amateurs de couleur locale : exotisme, rites vaudous, mœurs singulières, satisfont leur désir d'exotisme. Plutôt secondaire avant 1815, le Noir est en passe de devenir un personnage type, comme le brigand ou le marin et le roman populaire florissant au XIXème siècle, s'empare volontiers de cette figure littéraire.
Ainsi, en 1831, E. Sue publie Atar-Gull, l'histoire d'un jeune Namaquois, déporté à la Jamaïque. Le héros, affectant un dévouement profond pour le colon auquel il a été vendu, le poursuit en fait d'une vengeance secrète et féroce. Son maître, Tom Wil a fait pendre son père tout simplement parce que le vieil homme lui coûtait plus qu'il ne lui rapportait. Jenny, la fille de Wil, sera donc mordue par un serpent venimeux qu'Atar-Gull a placé dans sa chambre. La mère de Jenny en mourra de chagrin, son père en deviendra muet. Tandis que le poison continue ses ravages autour de Wil, l'esclave joue la comédie de l'obéissance et des soins attentifs. Arrivé en France avec son maître, dont il a éloigné toute autre compagnie, il laisse celui-ci écrire un témoignage de ses bons services. Puis, lorsque l'ancien colon est devient incapable de tout geste et de toute parole, il lui raconte dans les moindres détails la longue série de ses vengeances et de ses meurtres. Wil cherche en vain, dans son agonie, à dénoncer Atar-Gull au médecin qui lui rend visite. Il n'y aura pas de châtiment, bien au contraire. Après la mort de Wil, Atar-Gull, admiré de tous, se fait baptiser et obtient le prix Montyon de vertu.
[...] Car toute la stratégie de l'auteur réside dans ce procédé : il pervertit le champ des discours contemporain sur l'esclavage par les moyens caustiques, idéologiquement destructeurs, de l'humour et de l'ironie ; le personnage du narrateur étant un être immoral, ses propos ne peuvent pas être pris sérieusement en considération. Ainsi, l'ironie semble être utilisée en abondance tout au long de l'œuvre notamment par des interventions entre parenthèses. Lorsque Wil fait exécuter Job, le père d'Atar-Gull, sous de faux prétextes, le narrateur s'exclame entre parenthèses : (Oh ! Dans ce doux pays les exécutions et les procédures marchent grand train, grâce à la justice coloniale) Donc peut-on considérer que l'auteur a tenu son engagement de composer un récit objectif ? [...]
[...] S'ils s'engageaient dans cette industrie, ils tendraient alors à la médiocrité du capitaine Benoît et s'exposeraient à la violence sans limites des noirs qui, capables de tuer l'enfant d'un des leurs, ne seraient sans aucune pitié pour un blanc L'originalité de Sue réside dans le fait que noirs comme blancs sont capables de commettre des crimes, il n'y a plus de distinction possible entre victimes et bourreaux. Ce brouillage des rôles inscrit l'œuvre dans une esthétique romantique et dépasse dans ce cas la simple dramaturgie du roman-feuilleton. En effet, si dans ce genre romanesque, les personnages se bornent aux rôles de traitres, de victimes et de justiciers, dans l'œuvre de Sue, la frontière entre tous ces emplois est loin d'être étanche. [...]
[...] Chacun à leur façon, ils représentent l'extrémisme dans le mal. Conséquence logique des projets de l'auteur qui affirmait, dans la préface, vouloir dépeindre des êtres tantôt remarquables par une grande puissance d'organisation, tantôt par des vices ou des vertus poussés à l'excès mais toujours frappant, d'une espèce à part Et comparé aux autres noirs de l'œuvre et à ceux du paysage littéraire de l'époque, Atar-Gull est réellement d'une autre espèce Dès sa première apparition, il se distingue des autres esclaves et adopte les traits d'un héros romantique. [...]
[...] Il en résulte donc dans l'œuvre de Sue, une certaine variété, un hétéroclisme au sein même de l'histoire. Les personnages vont et viennent, les épisodes semblent cousus bout-à-bout, sans autre unité que la présence constante d'Atar-Gull et la transposition des traits caractéristiques de l'esclavage. Cette variété trouve son fondement dans le fait qu'en bon feuilletoniste, Sue doit soutenir l'intérêt de l'intrigue jusqu'à son point culminant en multipliant les péripéties et les coups de théâtre. Les épisodes doivent satisfaire l'attente du lecteur et la renouveler en créant des effets dramatiques, ce qui a plusieurs conséquences: la ligne brisée de son action, série de pointes coïncidant avec les coupes du feuilleton (JL Bory) et le bondissement dans l'espace et le temps. [...]
[...] Les nègres comme les blancs sont pour lui des objets qu'il achète, vend, tue au gré de sa fantaisie et sur lesquels il règne en tyran. Brulart représente la satisfaction de la volonté de puissance et il est donc à n'en pas douter un personnage romantique. Il hérite du romantisme noir son goût du macabre (comme en témoigne les nombreuses scènes de tortures) et son caractère satanique. Avec son horrible expression de méchanceté son rire méphistophélique son regard flamboyant et plus encore son nom, Brulart semble tout droit sorti de l'enfer. [...]
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