Si Socrate s'est lui-même qualifié de taon, comme le relate Platon dans l'Apologie, il apparaît tout de même assez doux à l'égard de ses successeurs. Les Cyniques, d'abord, avec Antisthène et Diogène, puis les sceptiques avec Pyrrhon d'Elis et Timon de Phlionte ont rendu l'image du philosophe un peu plus sulfureuse et ont quelque peu pimenté le discours philosophique.
Epictète, longtemps après ces pères fondateurs, hérite de cette image musclée du philosophe ainsi que d'une longue histoire de guerres entre Académie, Lycée, Jardin et Portique. De plus, homme d'origine servile, parlant une langue incertaine et s'adressant à un public varié, il n'est pas homme à mâcher ses mots. Il faut dire que depuis Platon, la formule philosophique a changé : il ne s'agit plus de trouver de concert la vérité à travers un dialogue, mais de prononcer un discours vigoureux exhortant l'auditoire à suivre la bonne voix, seule et unique.
[...] Cette pratique courante des dissertationes dans la Rome impériale (cf. Pline le Jeune), reprenant l'ejpivdeixi" de la Grèce du IVe siècle conduit à ériger l'acclamation et l'applaudissement en valeur suprême Fais-moi wouahou ou génial XXIII Eijpev moi ouja' kai; qaumastw'"). Le philosophe tient dès lors un langage fleuri, sans lien avec sa vocation de direction morale, ni avec le discours protreptique qu'il se doit de tenir : description de Pan et des Nymphes (XXIII, Xerxès ou les Thermopyles (XXIII, 38). [...]
[...] Pourtant il est possible d'en trouver ça et là quelques manifestations. Celles-ci se résument à un seul point qui est la conséquence de ce que nous venons de dire : certains prétendus philosophes ne sont pas en conformité avec les exigences morales de la nature humaine. Les épicuriens : les attaques contre les épicuriens sont sporadiques. Elles se résument à ceci : l'accusation d'immoralité foncière de la doctrine épicurienne. Ceux qui font du plaisir leur fin XXIV (oiJ tevlo" poiouvmenoi th;n hJdonhvn) sont des vicelards (kinaivdwn), enchaînés dans l'impureté des plaisirs sensuels. [...]
[...] En témoigne l'abondance de potentiels et d'irréels dans les Entretiens. C'est en ce sens qu'on peut se risquer à parler d'ironie de la diatribe : ce qui est dit n'est jamais entièrement dit, de même que la question de Socrate n'est jamais vraiment une question : la grandiloquente et hâbleuse réclame du maître philosophe, Oui vraiment, moi, je vais vous exposer tout Chrysippe mieux que quiconque, je décomposerai son style de manière la plus claire, et j'y vais mettre aussi les œuvres complètes d'Antipater et aussi d'Archédémos (Kai; mh;n ejgw; uJmi'n ejxhghvsomai ta; Crusivppeia wJ" oujdeiv", th;n levxin dialuvsw kaqarwvtata, prosqhvsw a[n pou (valeur homérique du fut. [...]
[...] Cette modération, et cette répartition sporadique de la violence polémique, doivent aussi attirer notre attention. Ajoutons encore que le genre de la diatribe excède la visée polémique : personnifications, anecdotes, comparaisons insolites ont aussi fonction de charmer l'auditoire plus que de servir d'arme de bataille. Inversement, la portée polémique des Entretiens dépasse le genre de la diatribe : il est possible de présenter la philosophie stoïcienne comme une doctrine de la guerre. Le sel noir de la diatribe (Hor. Ep. [...]
[...] La vie est une campagne militaire (strateiva tiv" ejstin oJ bivo") dans laquelle le sage l'homme idéal doit accomplir la mission qui lui a été confie par Zeus, et de mettre à profit l'entraînement que Zeus lui-même (comme pour Hercule, XXII, 57) lui a fait subir. Cette vision polémique de la vie est, semble-t-il, reprise de Platon (la frourav du Phédon). Elle court par la suite chez Sénèque (vivere militare est, Ep 5). Mais elle n'est nulle part plus aiguë que chez Epictète. [...]
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