C'est un truisme de dire que la postérité des mythes grecs a été immensément féconde. Aujourd'hui encore, plus de deux-mille cinq cents ans après qu'ils ont été mis par écrit, ils sont encore connus, des spécialistes et d'une large part du grand public. Ils ont survécu à la fin des civilisations grecques archaïque puis classique qui avaient été leur berceau, à la fin de Rome, au christianisme qui abhorrait le paganisme, à la modernité qui ne les tint jamais pour poussiéreux.
Si l'on regarde de plus près, ce ne sont tous les mythes grecs qui ont survécu dans l'imaginaire populaire, mais seulement, quelques-uns, parmi lesquels la guerre de Troie, Œdipe, Narcisse, Chronos dévorant ses enfants, Prométhée, ou Antigone. Pour des raisons multiples qui tiennent à la littérature occidentale ou à sa musique, quelques épisodes pris dans les mythologiques foisonnantes des Grecs tiennent une place primordiale incontestable.
Au milieu de ces mythes célèbres, celui d'Antigone tel que Sophocle le présente, a une place spécifique par le nombre d'œuvres qu'il a engendré et la fascination qu'il a exercé depuis que la première représentation de la pièce vers 440 avant Jésus-Christ.
Quelles sont les caractéristiques propres du mythe antigonien qui explique sa descendance, quelle a été celle-ci et dans quelle mesure a-t-elle modifiée l'original de Sophocle et plus généralement, au travers d'Antigone, pourquoi les mythes sont-ils si vivaces et qu'est-ce que cela nous dit sur la civilisation occidentale ; voilà les problèmes que pose l'histoire d'Antigone.
[...] Titre original : Antigones. Paru en 1984, traduit en 1986 par Philippe Blanchard. Le volume utilisé pour ce travail parut originellement aux éditions Gallimard, collection Folio/Essais ; il a été réimprimé en 2004. Ce qui paraît probable, c'est que les relations incestueuses qui se nouent autour d'Œdipe, et la confrontation de ce dernier avec l'énigme du Sphinx, font écho aux incertitudes, aux essais et aux erreurs qui marquent l'évolution des systèmes de parenté occidentaux ainsi que des institutions qu'ils engendrent et soutiennent. [...]
[...] George Steiner, professeur à l'université de Genève, dans Les Antigones[1], apporte des réponses à ces différentes questions. Ainsi selon lui si les mythes sont aussi vivaces c'est parce qu'ils sont très profondément pris dans leur langue, la langue grecque, qui a engendré toutes les langues romanes, c'est-à-dire la majorité des langues de l'Occident, pris à tel point qu'il voit dans les mythes une illustration de différents points de grammaire et de conjugaison, comme l'existence d'un passé, d'un présent et d'un futur, la notion de l'optatif en grec, les différents cas, etc. [...]
[...] Chez Anouilh par exemple, les parties importantes du chœur sophocléen sont distribuées au Prologue, au Chœur et aux Gardes. Brecht invente pour pallier à l'absence du chœur à l'antique le chœur des quatre Männer von Theben. Profitant de l'évocation de la fécondité d'Antigone en langue allemande, Steiner explique que le célèbre premier stasimon de Sophocle (le πολλὰ τὰ δεινὰ) constitue l'un des moments-clés de la littérature allemande, et il glisse sur la vision de Heidegger de ce passage, qui introduit la dimension terrifiante de l'homme, violente. [...]
[...] Que la latin ait été en très grande partie influencée par le grec, cela est évident et incontestable. Mais l'influence du grec sur la langue française me semble réduite à une influence sémantique un grand nombre de mots venant en effet du grec ; la syntaxe, la grammaire, la conjugaison du français découlent à mon sens davantage du latin que de la koiné. Les procédés rhétoriques, les images de comparaisons et de métaphores qui nous viennent spontanément à l'esprit cœur de lion par exemple, cite Steiner page 148) peuvent avoir pour origine les images des mythes grecs, mais je ne peux moi les concevoir pris dans leur langue, et leur langue prise dans notre esprit à tel point que notre esprit serait irrigué par les images du grec ancien, enfin de l'attique pour être plus précis. [...]
[...] 222) Quand nous lisons une traduction, quelle que soit sa qualité, c'est le traducteur que nous lisons (même page) continue Steiner. À partir de là se confronter à une pièce, à un texte traduit, semble inutile ; tout au plus, quelque chose du fond de l'œuvre sera approché, mais en art le fond est toujours pris dans une forme, aussi une telle lecture qui ne voit que le fond puisque la forme est une simple traduction ne peut être qu'incomplète et tronquée. [...]
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