C'est finalement la question de savoir qui sont ces personnages pour eux-mêmes, leur identité
propre et la question de la patrie. Qui sommes-nous, où est notre patrie et où allons-nous ? Cette
conjoncture des champs spatiaux et temporels (passé, présent, futur), conjugués à des facteurs
romanesques classiques pour une romancière féminine tels que l'amour, la joie mais aussi la
tristesse, la nostalgie, la mélancolie, le désespoir ou la guerre (dans une toute autre conception que
dans d'autres romans), thèmes contrastés que le titre peut évoquer à lui tout seul, ensuite décliné
d'une très belle manière dans les titres de chapitres et sous-chapitres et dans un style toujours
aussi précieux et d'une rare douceur. La question sera également de savoir si le roman est
représentatif de ce que les Sépharades en Bosnie et à Sarajevo ont dans l'ensemble où si la famille
Salom fait figure d'exception, tout en recoupant avec le contexte historique.
[...] Les Juifs ont la migration dans le sang entendra-t-on plus tard dans le roman. La question de l'existence d'un peuple juif à part entière est d'ailleurs ontologiquement posée, le terme étant tout d'abord plural. En effet, on parle de juif en tant que judaïsme (ensemble des lois, coutumes, traditions et croyances que l'on doit au royaume de Judée), en tant que judaïcité soit le degré d'attachement au judaïsme (pratiquant, observant, agnostique en tant que groupe culturel (on parle de judéité ou judaïté) ou bien en tant que simple ascendance juif est Juif celui qui désigne les autres comme Juif selon Sartre) et cette dernière définition fait alors plus figure d'étiquette A cet effet se pose la question légitime d'être juif de sang ou par les gênes Il semble toutefois certain qu'être Juif demeure bien plus une question d'appartenance culturelle et/ou religieuse, indépendamment des croyances. [...]
[...] Mais c'est aussi l'enchevêtrement de quatre Etats-Nations, dont finalement le terme n'acquiert presque plus de sens ici. L'irrésistible ascension sociale de cinq jeunes séfarades, d'un petit et long paradis, à la vie au rabais, vers la délivrance Si le roman début en ce 28 juin 1914, l'évènement historique qui aura pour conséquence directe la première conflagration mondiale demeure pour le moins bien étouffé, du moins dans sa conception factuelle. Et si l'on pourrait croire que cela ne dure pas pendant toute la narration, c'est tout de même une tendance quasi globale du roman à ce que l'histoire générale soit mise entre parenthèses (à l'exception de la Seconde Guerre Mondiale) au profit d'une narration plus familiale et personnifiée. [...]
[...] Dès l'amorce du récit, l'auteur prend soin de rappeler l'histoire sous forme d'histoires. Il est vrai qu'il est utile de se remémorer l'expulsion des Juifs du Portugal et d'Espagne ordonnée par Isabelle la Catholique en 1492 (d'où Séfarade, Ibérie en hébreu), donnant lieu ainsi l'appellation de séfarade désignant la population juive s'étant installée dans tout le pourtour méditerranéen, dont les Balkans, notamment en Serbie et en Bosnie. Il s'agit donc d'étudier la population juive à travers l'histoire de la famille Salom tout en effectuant des rapprochements avec les autres communautés ou ethnies vivant dans la région et selon les périodes (de guerre, de tension, d'apaisement ou de paix). [...]
[...] A la fois heureuses de vivre mais éprises d'un mal-être quasi constant, c'est aussi la marque de reconnaissance caractéristique de la communauté juive, entre mobilité et lamentations Dans un roman nourri de contrastes, d'un début insouciant à une fin qui manque de peu d'être décadente, il livre une véritable leçon d'humanité, culturelle et sociale, d'amour et de paix, de mélancolie et de nostalgie de la patrie. Point étonnant que son succès ait été retentissant en Yougoslavie. Gageons cependant qu'il connaisse le même succès en France ; car en ces temps où les nations reprennent le pas sur des questions plus continentales, en ces temps où l'homme se recentre sur lui-même et voit l'étranger comme une menace, c'est bien ce genre d'ouvrage qui devrait mériter toutes les attentions. [...]
[...] Enfin, il y avait à l'époque (et dans une moindre mesure aujourd'hui) une minorité turque, de religion musulmane et parlant serbe. Conséquence directe, les premiers signes de perdition de l'identité se manifestent de manière patente dès la situation initiale : Quand la boutique était remplie de monde, ( ) Nina s'occupait des Autrichiennes, car elle parlait allemand, tandis que Klara s'entretenait en serbe ou en espagnol avec ses clientes. Mais Nina se mêlait de tous les essayages, et donnait des conseils en serbe aux clientes de Klara. En même temps, elle hélait les ouvrières en espagnol. [...]
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