Lorsqu'il publie A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie en 1990, Hervé Guibert donne à lire de manière frontale la découverte de sa séropositivité et la progression de sa maladie. Son passage à « Apostrophes », le 16 juin de la même année donna une résonance plus conséquente encore aux « aveux » de l'auteur. Guibert, un impudique ? Guibert, coupable d'avoir révéler l'agonie puis la mort du philosophe de Michel Foucault ? Telles sont les questions qui ont divisé le lectorat et les critiques. « Le livre connaît un succès retentissant, écrit Bruno Blanckmann, qui excède les seuls initiés de l'oeuvre, mais aussi, plus généralement, les amateurs de littérature : il est reçu comme un témoignage de trois cents pages, la parole d'un malade transmettant son expérience d'une pathologie dont on ignore alors à peu près tout, puisqu'elle n'a été identifiée sur la scène publique mondiale que six années plus tôt. » (...)
[...] On voit Guibert se faire masser puis faire douloureusement sa gymnastique. Aucun aspect de son corps n'est épargné à la caméra. Enfin, on peut aussi y voir une fausse tentative de suicide. Comme dans cette création cinématographique, dans A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie le sida était d'ailleurs représenté comme le pivot d'une entreprise de dévoilement total et de mise à nu imposé par la maladie : Bien avant la certitude de ma maladie sanctionnée par les analyses, j'ai senti mon sang, tout à coup, découvert, mis à nu, comme un si un vêtement ou un capuchon l'avaient toujours protégé [ ] mon sang démasqué, partout et en tout lieu [ ] mon sang nu à tout heure, dans les transports publics, dans la rue quand je marche[2]. [...]
[...] On notera différents mécanismes dans ce passage, de la singularité de l'auteur, à l'image objective d'un corps dont la mort est annoncée. En premier lieu, la description du corps amène elle-même à prendre en compte qu'il n'est devenu que la matérialité de la mort le virus avait pris une consistance presque corporelle en devenant une chose certifiée et non plus redoutée[4] vidé de son aspect humain comme on peut le lire dans Le Protocole compassionnel : Corps malade, affaibli, décharné [ ] Une sorte de squelette sur lequel pendaient quelques rares lambeaux musculeux, des replis de peau comme éviscérés [ ] Un corps n'étais jamais qu'un corps, ou toujours qu'un corps, c'est-à-dire une matière, un matériel plus ou moins indifférent[5]. [...]
[...] Le témoignage dépasse donc sa seule vocation à dire Guibert tente une approche de lui-même à la fois en profondeur (signe de sa singularité) mais aussi par le prisme de l'extériorité (regard neutre du médecin, dissection froide). Blanckmann parle d'ailleurs d'une triple approche de soi : chronologique, d'abord, comme nous l'avons souligné, et qui prend la forme d'un récit qui flirte avec l'écriture diaristique, mais aussi phénoménologique, qui s'attache à rendre de manière la plus concrète possible la maladie (l'attester en gros plans, externes et internes, relever des éléments d'ordre psychosomatique propres à parfaire la connaissance intime de soi). [...]
[...] Hervé Guibert, A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie et Le Protocole compassionnel Le sida aura été pour moi un paradigme de mon projet de dévoilement de soi et de l'énoncé de l'indicible[1]. Hervé Guibert Lorsqu'il publie A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie en 1990, Hervé Guibert donne à lire de manière frontale la découverte de sa séropositivité et la progression de sa maladie. Son passage à Apostrophes le 16 juin de la même année donna une résonnance plus conséquente encore aux aveux de l'auteur. [...]
[...] Guibert, devenue une sorte d'image fantôme, pour reprendre un titre d'un de ses livres, semble s'inscrire dans une logique de don total, s'écrivant sans fard. Descriptions d'analyses, de rendez-vous chez des médecins, listes de médicaments J'avais eu des maux secondaires que le docteur Chandi avait traités : des plaques d'eczéma sur les épaules avec une crème à la cortisone, du Locoïd à des diarrhées avec de l'Ercéfuryl 200 à raison d'une gélule toutes les quatre heures pendant trois jours, un orgelet douteux avec du collyre Dacrine et une crème à l'Auréomycine sont autant de particularités qui soulignent un peu plus la dimension quasi- chirurgicale de ces autobiographies guibertiennes. [...]
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