Marguerite Duras, dans L'amant, livre pour lequel elle reçut le prix Goncourt en 1984, entraîne ses lecteurs dans l'univers de l'Indochine des années 20, par le biais d'une myriade de souvenirs qu'elle relate comme « par bouffées ». Elle réalise un éclairage tout particulier sur cet amant de Cholen, un chinois qui a marqué, semble-t-il, aussi bien son adolescence que sa vie amoureuse et sexuelle toute entière. Son écriture, comme pour symboliser la difficulté à se remémorer le passé, ou simplement à rassembler de façon cohérente et linéaire ses souvenirs, est, elle-même, un peu décousue, et sans véritable chronologie. Ses confidences se déroulent sans véritable fil logique, mais entraînent le lecteur dans le passé exotique de l'auteur, autour de cette histoire d'amour presque incompréhensible entre cet homme, un chinois, et cette jeune fille, Marguerite Duras, une Française.
Comment penser l'amour dont elle parle ? Est-il unique ou prend-il différentes formes selon les personnes, les lieux, et les moments de sa vie ? La citation mise en relief au début de cet essai critique est la preuve des contradictions qui tourmentent l'esprit de l'auteur. Peut-on réellement aimer « sans l'avoir vu » ? Peut-on découvrir l'amour une fois qu'on l'a perdu ? L'auteur n'aimerait-elle pas uniquement les personnes absentes de sa vie (comme son petit frère, ou l'amant de Cholen) ? Toutes ces questions permettent d'en arriver à se poser une problématique plus générale : Ce roman est-il vraiment un roman sur l'amour ?
[...] Elle aura même peur pour son petit frère Mais bien au-delà des relations ambiguës entretenues avec les différents personnages du roman, Marguerite Duras nous fait part de la difficulté de l'amour de soi. En effet, alternant entre propre fascination, lorsqu'elle décrit sa tenue sur le bac, et rejet d'elle- même (abordant sa maigreur Ce roman oscille donc sans cesse entre diverses tensions, entre un amour irraisonné, et une haine destructrice, en- tout-cas, un rejet. Il n'en reste pas moins que l'écriture de Marguerite Duras est clairement une écriture des sentiments qu'elle décrit avec lyrisme parfois, simplement au travers d'images un peu opaques. [...]
[...] Il semble donc que ce roman, relatant une histoire d'amour incroyable entre deux personnages totalement opposés l'un de l'autre, soit pourtant l'histoire d'une belle rencontre entre cet homme et cette jeune fille que tout semblait séparer. En revanche, il apparait clairement que les relations qu'entretient Marguerite Duras aussi bien avec son amant qu'avec sa mère ou même encore ses frères (elle semble aimer son petit frère uniquement parce que, à l'inverse de son frère aîné, il est décédé), soient des relations complexes traversées de tensions conflictuelles et dichotomiques. Peut-on penser que la jeune fille ait pleinement profité de cet amour inouï qui s'offrait à elle ? [...]
[...] La jeune fille est très distante de son amant, même lorsqu'elle est seule en sa présence elle lui dit : je préférerais que vous ne m'aimiez pas En même temps, la représentation qu'elle se fait de l'amour que lui porte l'amant de Cholen est elle aussi très révélatrice de cette dichotomie. La passion qui agite cet homme est d'une force inouïe. Elle est décrite par Marguerite Duras, longuement, avec l'accent fait sur la souffrance engendrée, et le tourment infligé par la jeune fille. Pourtant, le chinois n'a pas la force de m'aimer contre son père, de me prendre, de m'emmener dira la narratrice. Comme tous les amours impossibles, dont nous parlions plus haut, il y a une grande souffrance derrière. [...]
[...] Marguerite Duras semble se décrire comme une adolescente extrêmement lucide sur l'amour, la vie, le passé et le futur, finalement une jeune fille incroyablement mature à laquelle rien ne résisterait, faisant preuve d'une formidable rigueur aussi bien dans ses émotions que dans son choix de vie. Dans ce cas, néanmoins, il pourrait vraiment s'agir d'une forme d'amour aveugle qui ne se verrait qu'à la lumière de l'absence. Cela serait alors aussi sûrement un problème dans les relations à venir de l'auteur. [...]
[...] La citation mise en relief au tout début de l'essai critique permet de saisir le paradoxe. En effet, une fois sur le bateau, loin de lui, presque certaine de ne jamais le revoir, la jeune fille réalise qu'elle aurait pu aimer cet homme sans réellement s'en rendre compte. L'absence motiverait alors ici les sentiments, ou en tout cas, la révélation de ces derniers. Ce serait seulement lorsque le personnage disparaitrait de l'entourage de l'adolescente que cette dernière pourrait capter les réelles émotions qu'elle s'interdisait en sa présence. La situation parait complexe. [...]
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