Bille en tête (Gallimard, 1986 - collection Blanche) - Avec ses seize ans en bandoulière, Virgile veut désormais vivre tout haut et non plus chuchoter sa vie dans les couloirs d'une école. Adolescent charmeur, doué d'une gaieté infernale, il séduit une amie de son père fort riche : Clara. De nuits d'amour dans les hôtels, où on les prend pour mère et fils, en descentes dans les magasins de jouets, leur liaison prend une tournure de conte de fées amoral (...)
[...] L'homme-chat lui déclara que, si elle tenait à le revoir, elle devrait le chercher. Le fouet claqua et l'attelage disparut au coin de la rue. L'épouse de Cigogne savait déjà qu'elle avait perdu son pari. Où était passée sa volonté de jadis ? Deux jours plus tard, Emily retrouva l'homme-chat à un bal donné dans l'ancien bâtiment de la Compagnie minière. Il l'entraîna dans une valse. Il se lança alors dans une logorrhée de flatteries, de compliments physiques et moraux qui, inversés, étaient autant d'insultes faites à l'anatomie d'Emily, à son caractère et à sa féminité. [...]
[...] Le premier jour du Carême gaucher, lord Cigogne se trouvait en ville. En avance à un rendez- vous, il prit un rafraîchissement à la terrasse du café Colette. Une jeune femme lui adressa un discret clin d'œil et laissa tomber son mouchoir jaune. Elle sourit, lui vola tout-à-coup son porte-monnaie et, d'un bond, fut dans la boutique d'en face. Jeremy resta immobile, effaré qu'une jeune fille pût se comporter ainsi, avec autant d'étourderie. Il apprit que pendant le Carême gaucher, les femmes avaient le droit de tenter les hommes sans que ces derniers eussent celui de les culbuter. [...]
[...] La foule se rendit au cimetière des Gauchers. L'usage était que les mariés décidassent ce jour-là de l'endroit où ils reposeraient ensemble pour l'éternité. Emily entraîna Jeremy par la main jusqu'au sommet d'une éminence verdoyante, plantée d'une couronne de pins colonnaires. La fosse fut creusée et les deux époux s'étendirent pour l'essayer. Ils demeurèrent quelques instants, au fond de leur tombeau, mêlés à cette terre qui les engloutirait. Tard dans la nuit, ils refermèrent la fosse avec une grande dalle de granit rose, encore vierge de toute inscription, puis dansèrent dessus, selon l'usage. [...]
[...] L'amour des femmes, et des hommes, l'avait emporté sur l'argent ; de là cette gaieté, ce sentiment de libération et de fierté, bien que tous connussent le prix élevé de leur décision. Mais ils entendaient préserver leur territoire ! Citoyens gauchers, reprit le maire exalté, ajustons nos envies à notre fortune, plutôt que de mettre nos revenus au niveau de nos désirs ! L'idée du vrai commençait à nous échapper dans l'opulence, revenons à l'esprit de la Société des Gauchers ! Aux mœurs délicieuses de ces pionniers ! L'intelligence des affaires nous gagnait, et cette intelligence-là mène aux ambitions creuses, à l'existence la plus agitée, et la plus vide. [...]
[...] LA MORT Alexandre Jardin est obsédé par la mort et son côté définitif. Pour lui, la mort ne devrait pas être une séparation mais une continuité. Il l'exprime à merveille dans ce passage où Emily et Jeremy choisissent un emplacement pour leur futur tombeau : Dans la fosse qui s'approfondissait, Jeremy regardait Emily qui pelletait avec ardeur, tandis qu'il piochait ; un court instant, il la vit morte, froide, blafarde, déjà percée par les vers qui feraient un festin de sa chair, avant que la terre ne la digérât toute ; et il posa sa pioche pour la prendre dans ses bras, tant qu'elle était là, chaude, intacte, lisse, vivante. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture