Le spectateur se trouve perdu, face à l'œuvre de Vuillard, intitulée Personnages dans un intérieur. En effet, ce dernier a peint de sorte que les détails soient extrêmement précis, si bien que le spectateur a peine à se représenter une vision d'ensemble des quatre scènes. N'en est-il pas de même pour le lecteur d'A La recherche du temps perdu ? Proust révèle, dans son œuvre, son souci de perfection, par l'attention qu'il porte au détail. Léo Bersani, lui, semble, dans De la littérature française, avoir décelé le sens général de l'œuvre dans la philosophie : « Idéalement, l'art devrait être la vérité libérée des phénomènes, et la tentative de pousser le roman jusqu'à cette (inaccessible) limite donne aux derniers volumes – où la part des lois générales est prédominante – l'austère beauté d'un roman qui serait presque arrivé à s'abstraire de ses propres fables… ». En appliquant cette réflexion à Albertine disparue, on en déduirait que le roman s'efforce de renoncer à lui-même, puisqu'il s'abstrait, c'est-à-dire se dégage d'un élément qui le compose : ses propres fables. Cette formule, utilisées par Léo Bersani surprend : comment le roman peut-il survivre sans ses fables, autrement dit sa fiction ? Le critique semble sous-entendre que la beauté d'un roman ne réside pas dans ce qu'il dit explicitement : elle est cachée. Ainsi, c'est en forant l'apparence d'un roman, comme le narrateur s'efforce de forer sa psyché, que le lecteur pourrait atteindre la valeur de l'art : son aptitude à tendre vers un monde intelligible et conceptuel. Mais ne peut-on dégager d'autres acceptions du terme « fable » et trouver d'autres valeurs au roman, afin d'enrichir la pensée de Léo Bersani ?
Par conséquent, en quoi consiste la beauté et la valeur de l'art, dans Albertine disparue ?
Ce roman a-t-il davantage pour but de tendre vers le concept intelligible ou vers le détail sensible et subjectif ? Peut-on vraiment parler d'une finalité du roman ? La fable ne se suffit-elle pas à elle-même ? Enfin, nous verrons que la beauté de l'art romanesque réside non dans sa fin, mais dans son processus : l'acte d'écrire.
[...] Ainsi, c'est en forant l'apparence d'un roman, comme le narrateur s'efforce de forer sa psyché, que le lecteur pourrait atteindre la valeur de l'art : son aptitude à tendre vers un monde intelligible et conceptuel. Mais ne peut-on dégager d'autres acceptions du terme fable et trouver d'autres valeurs au roman, afin d'enrichir la pensée de Léo Bersani ? Par conséquent, en quoi consiste la beauté et la valeur de l'art, dans Albertine disparue ? Ce roman a-t-il davantage pour but de tendre vers le concept intelligible ou vers le détail sensible et subjectif ? Peut-on vraiment parler d'une finalité du roman ? [...]
[...] Notons d'ailleurs la formule oxymorique de Léo Bersani : austère beauté : Albertine disparue apparaît comme une beauté austère, c'est-à-dire sans fioriture, sans rien d'inutile parce que c'est une œuvre vraie, qui dit une vérité sur les faiblesses de l'auteur. L'art serait donc une ascèse qui ouvre le chemin vers l'idée de beauté. En 1913, Proust décide d'éditer son œuvre qu'il pense achevée, à compte d'auteur. Il entreprend ensuite, alors que la guerre éclate, de gonfler son texte, de le remodeler. [...]
[...] N'est-elle pas le moyen de retrouver l'intemporel ? Ernst Robert Curtius insiste sur cette volonté de transcender le temps, et donc de trouver un monde supra-naturel, où l'homme peut se réfugier : Proust ne veut pas devancer le temps mais se hausser hors de son atteinte. Cependant, la thèse de Bersani est tout à fait opposée à celle de Proust, qui est matérialiste. On l'observe concrètement dans son roman : dès Combray le narrateur est accroupi sur le sol pour regarder et toucher ces pavés pleins de souvenirs. [...]
[...] Si Albertine disparue est considéré comme le roman d'un échec, il est aussi celui d'une victoire : le narrateur a vécu des échecs, connu la souffrance du deuil, de la perte, de l'oubli, pour renaître dans Le Temps retrouvé, grâce à sa vocation d'artiste. Si Albertine a disparu le lecteur assiste à la renaissance d'une vocation, et par là d'un nouvel être, que l'art transpose dans l'intemporel. Cette descente dans la psyché, que Proust a extraordinairement mise en scène dans A la Recherche du temps perdu, grâce au muthos, Freud, lui, ne l'accomplit-il pas à l'aide du logos ? [...]
[...] Albertine disparue a un fil conducteur qui se retrouve dans les thèmes : la mort, le deuil, l'amour, l'oubli Ces thèmes sont déclinés dans toute l'œuvre de Proust. Ils forment une histoire, une fabula puisqu'ils créent des échos, entre les personnages, les lieux On retrouve en effet une structure cyclique qui donne sens, et qui par là, pourrait être considérée comme la beauté de l'art romanesque proustien. Cette structure est bel et bien la clé de la compréhension de l'œuvre, comme le dira Proust lui-même : Ce n'est qu'à la fin du livre et une fois les leçons de la vie comprises, que ma pensée se dévoilera. [...]
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