« Seule l'impression, si chétive qu'en semble la matière, si insaisissable la trace, est un critérium de vérité, et à cause de cela mérite seule d'être appréhendée par l'esprit, car elle est seule capable, s'il sait en dégager cette vérité, de l'amener à une plus grande perfection et de lui donner une pure joie. L'impression est pour l'écrivain ce qu'est l'expérimentation pour le savant, avec cette différence que chez le savant le travail de l'intelligence précède et chez l'écrivain vient après. Ce que nous n'avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce qui était clair avant nous, n'est pas à nous. Ne vient de nous-mêmes que ce que nous tirons de l'obscurité qui est en nous et que ne connaissent pas les autres ».
Cette réflexion vous parait-elle devoir s'appliquer à Albertine disparue ?
[...] Le narrateur se dit parfois jaloux mais des jaloux dont pas un n'était jaloux de la même femme Ainsi le roman du je échoue dans sa quête d'Albertine car l'attitude du héros en dit plus sur la jalousie du moi que sur la jeune fille et l'imagination des possibles ne débouche pas sur une vérité absolue. Mais Albertine n'est-elle pas finalement la chance romanesque de l'auteur ? En effet, nous assistons à un prolongement en imagination de ce qui n'est pas écrit selon les innombrables facettes de sa personnalité : l'intrigante, la tragique, la fille orgiaque La narrateur la décrit comme tour à tour pluvieuse et rapide, provocante et diaphane, immobile et souriante, ange de la musique sans pour autant la cerner. [...]
[...] La psychologie dans le temps apparaît précaire car évolutive et il y a donc une supériorité du roman sur l'essai psychologique car il permet une analyse narrative et romanesque dans le temps. Du fait de ce rapport complexe au temps, la vérité sur soi peut donc sembler insaisissable : le narrateur explique par exemple dans le premier chapitre d'Albertine disparue qu'il n'était pas un seul homme mais le défilé heure par heure d'une armée composite où il y avait selon le moment des passionnés, des indifférents, des jaloux Le moi est donc un objet impossible à saisir et à cristalliser car des strates successives le composent qui peuvent ressurgir à tout moment par l'action de la mémoire. [...]
[...] Albertine disparue de Marcel Proust Sujet : Seule l'impression, si chétive qu'en semble la matière, si insaisissable la trace, est un critérium de vérité, et à cause de cela mérite seule d'être appréhendée par l'esprit, car elle est seule capable, s'il sait en dégager cette vérité, de l'amener à une plus grande perfection et de lui donner une pure joie. L'impression est pour l'écrivain ce qu'est l'expérimentation pour le savant, avec cette différence que chez le savant le travail de l'intelligence précède et chez l'écrivain vient après. [...]
[...] Ce côté de la souffrance lui donne en même temps une autre intelligence par une acuité et une sensibilité nouvelles car il sait qu'Albertine ne reviendra pas mais tente de se protéger de cette peur panique. L'intuitivisme de l'inconscient ne provient donc pas de l'intelligence pure mais de l'hypersensibilité que donnent les impressions inscrites dans le moi : on débouche ainsi sur une analyse venant de l'aptitude de l'intuition à déchiffrer les signes qui arrivent du dehors. Le travail de l'intelligence est remis en cause par Proust, qui l'oppose à celui de l'inconscient résistant au regard intérieur qu'on porte sur soi. [...]
[...] Proust a commencé par travailler les deux extrémités de l'œuvre, plaçant la fiction dans Du côté de chez Swann et les théories constituant la clé de la fiction dans les deux derniers volumes. En s'écrivant, le roman ne va-t- il pas modifier le rapport à la thèse initiale ? La possession totale d'une idée est rendue difficile par la complexité de l'impression qui exerce une remise en cause permanente sur ce que l'on croit savoir de soi et du monde. [...]
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