"Qu'est-ce pour nous mon coeur" est le poème qui ouvre le recueil des Poésies de1872. Certains critiques placent la composition de ce poème au lendemain de la Commune, et effectivement, le texte est émaillé de références à la Semaine sanglante. On distingue souvent trois périodes chez Rimbaud : la révolte pour les poésies de jeunesse et Les Cahiers de Douai, la voyance pour les Poésies de 1870-71 et les Poésies de 1872, et le renoncement pour Une Saison en enfer et les Illuminations.
Ce poème est l'illustration du fait que ces périodes ne sont pas étanches. Le recueil de poésies de 1872 est dominé par la voyance, mais le poème qui ouvre le recueil est encore marqué par la révolte, radicalisée puisqu'il prône la destruction de tout ordre. Il s'agit d'une dénonciation des massacres de la Semaine sanglante et d'un appel à la vengeance, qui se fait dans un langage nouveau.
On souligne l'importance de la polyphonie chez Rimbaud, mais elle est ici de l'ordre du dialogue intérieur. La structure dialoguée se superpose à la forme poétique proprement dire, composée de six quatrains d'alexandrins, et un dernier vers isolé de 9 syllabes.
[...] Analyse linéaire de Qu'est-ce pour nous mon coeur de Arthur Rimbaud Qu'est-ce pour nous, mon coeur . Qu'est-ce pour nous, mon coeur, que les nappes de sang Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris De rage, sanglots de tout enfer renversant Tout ordre ; et l'Aquilon encor sur les débris ; Et toute vengeance ? Rien ! . - Mais si, toute encor, Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats : Périssez ! puissance, justice, histoire : à bas ! [...]
[...] Noirs inconnus, si nous allions ! Allons ! Allons ! Les Noirs inconnus désignent le peuple anonyme, et rappellent deux vers des Poètes de sept ans : Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve, / Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Cet adjectif noir sert à désigner les prolétaires, les compagnons de lutte. Il s'agit d'une sorte d'appel au combat, d'abord une suggestion avec le subjonctif allions mais c'est déjà une fausse suggestion, presque un ordre, car on attendrait un point d'interrogation, et on a ici un point d'exclamation. [...]
[...] La phrase inachevée, qui se termine par des points de suspension, permet de mimer le découragement du poète. Les points de suspension permettent également de faire le lien avec le quatrain suivant. Peut-être aussi disent- ils l'innommable, la mort. L'océan ne serait alors plus un élément se déchaînant contre les insurgés, mais les insurgés eux-mêmes. On pense à la métaphore du peuple océan chez Hugo, dont Rimbaud s'inspire beaucoup. Le peuple, les insurgés, seraient donc frappés par la répression. Quatrain 6 Oh ! mes amis ! [...]
[...] On a donc un vers malmené, une syntaxe complexe qui est mimétique du chaos décrit par ce premier quatrain. De plus, le vers déborde, car l'énumération des éléments désastreux n'en finit pas. On nous présente donc un tableau frappant, une sorte d'hypotypose d'une scène de carnage. On voit la présence de la mort sang meurtre de la destruction braise débris de la souffrance sanglots cris de rage Le style est hyperbolique, joue sur les insistances, avec le numéral mille et la répétition du déterminant tout : tout enfer Tout ordre toute vengeance cela semble élargir le champ des destructions et donne un sens plus large à la révolte, qui s'exerce contre tout ordre c'est-à-dire toutes les contraintes. [...]
[...] L'emploi de ce signe typographique est fréquent chez Rimbaud, souvent pour marquer une pause, une hésitation. Mais ici, il est peut-être à prendre au sens d'un tiret de dialogue : le texte apparaît comme un dialogue entre deux voix intérieures qui s'opposent sur la question de la révolte. - Mais si, toute encor, / Nous la voulons ! La licence poétique sur encor rappelle la poésie classique. Le Mais si apparaît comme un refus du rien l'affirmation du besoin de révolte, de vengeance. [...]
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