Analyse comparée des deux oeuvres suivantes: (1) La Femme noyée, poème de Jean de La Fontaine (2) Pascal Bouveret "Ophelia".(voire piece jointe).
Axe de l'analyse baser sur le theme du cours uniquement :" l'eau, la femme et la mort"
[...] Ni La Fontaine, ni Dagnan-Bouveret n'inventent la matière de leur œuvre : les intertextes ou les sources sont empruntés à une tradition qu'il n'est pas difficile de baliser, et dont les artistes ne se cachent pas. Il convient de faire ce repérage intertextuel, et de commenter les jeux de reprises thématiques qui s'y organisent. Dans « La Femme noyée », les sources d'inspiration peuvent être classées en trois catégories. La première est une tradition misogyne, sorte de sagesse des nations ou de fonds commun de préjugés voulant que « le défaut du sexe » (v. [...]
[...] Les thèmes fondamentaux évoqués plus haut n'ont pas la même place chez La Fontaine et chez Dagnan-Bouveret. Le fabuliste en évacue toute la puissance symbolique : la mort n'y est pas effrayante, l'eau n'y est pas le reflet d'une proverbiale inconstance féminine, la femme n'y est pas texte, mais prétexte au développement d'une dynamique méta-textuelle et d'un jeu de masques sage / imbécile ou conteur malhabile / habile lecteur. Au contraire, le peintre laisse à la mort son pouvoir angoissant, effrayant, confère à l'eau la place d'un miroir de la mort (obscurité, profondeur), et fait de la femme un être fragile voué à la destruction - tout cela dans une illustration assez naturaliste d'une scène devenue topique dans la culture européenne de son époque. [...]
[...] pourquoi ce renversement de la sagesse en bêtise ? Parce que La Fontaine met en scène, dans un jeu métalittéraire, l'action de la lecture et l'élaboration du sens : en nous donnant à voir une lecture littérale de la situation, en nous donnant à entendre la maladresse ou l'incompétence d'un lecteur (car le narrateur, c'est certes celui qui raconte, mais ce faisant il propose une lecture de ce qu'il raconte), il cherche à nous mettre en garde contre une compréhension trop simpliste du texte, à provoquer notre vigilance, et à ne pas nous laisser séduire par l'évidence ou la simplicité des opinions. [...]
[...] D'autre part, lorsqu'il énonce un véritable paradoxe (une contradiction dans les deux derniers vers de la fable : « Et jusqu'au bout contredira / Et, s'il peut, encor par-delà » (v. 32-33). S'il contredit jusqu'au bout, alors il n'y a plus rien par-delà, puisque c'est le bout, la fin ; mais s'il contredit par-delà, c'est que le bout n'était pas le bout. Clore le texte, et plus précisément la moralité qui en est l'âme et le point d'orgue, sur une telle maladresse logique et sémantique, ridiculise irréparablement le narrateur : le moraliste qui doit nous proposer des leçons pleines de sens n'est, en définitive, qu'un nigaud. [...]
[...] Au XIX[ème] s., après la redécouverte en France des œuvres théâtrales de Shakespeare (jusque là trop peu goûtées des français pour qui le britannique était trop irrégulier dans la composition et trop peu décent dans l'écriture), les peintres se saisissent du personnage d'Ophelia et représentent certaines des scènes où elle apparaît, et en particulier celle de sa noyade. Alors, pendant un siècle, romantiques, symbolistes, préraphaélites, tenants de l'art nouveau illustreront la fin d'Ophelia, de Delacroix à Cabanel, de Redon à Courbet, de Waterhouse à John Everett Millais. Dagnan-Bouveret s'inscrit dans cette lignée ; mais comme nous le verrons (cf. III), pour lui comme pour La Fontaine les inspirateurs ne se comportent pas comme des modèles à suivre : bien plutôt faut-il les voir comme des exemples dont il est profitable de s'écarter. [...]
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