Si, selon les mots de Rabelais « science sans conscience n'est que ruine de l'âme », cet adage inspire aujourd'hui à chacun la distance nécessaire à mettre entre l'Homme et la technologie, le célèbre roman de la jeune écrivain anglaise Mary Shelley, Frankenstein, publié en 1818, illustre à merveille le conflit ambigu forgé, au sortir du Moyen Age et depuis l'avènement de la science des Lumières, entre l'Homme et sa création.
[...] Mais, si la notion de limite apparait peu- il est fait référence une seule fois à celle de « la vie et la mort », il n'en reste pas moins que l'agitation mentale et la très forte « anxiété » ressentie par Victor témoignent d'un malaise grandissant au fil de ses recherches lorsqu'il s'exclame « une horreur et un dégout sans bornes m'emplissaient l'âme » à mesure qu'il s'apprête à atteindre son but. L'implicite est ici très fort car si le conflit est intériorisé, le personnage « tremble », cependant, bien avant sa création, tyrannisé, sans doute, par sa propre conscience. Mais pourquoi ? La référence récurrente au « Démon » est déterminante car elle est à comprendre au sens judéo-chrétien. Il s'agit d'une œuvre qui contrarie la Nature elle-même et donc la création dans ce qu'elle a de divin. [...]
[...] Le « je » est omniprésent et même renforcé par des éléments possessifs comme « à moi » tandis que « l'étincelle de vie » renvoie au pouvoir de donner la vie, pouvoir, normalement circonscrit à Dieu lui-même et à lui seul. Si ce texte met surtout en lumière les sentiments extrêmes et confus tout comme la psychologie du personnage, il souligne cependant, la faute puis la violence avec laquelle s'impose à l'Homme son destin. En effet, ce texte est d'abord, empli de références, notamment à celle du mythe de Prométhée, dans lequel, l'homme subtilise le feu sacré aux Dieux pour l'offrir aux hommes. Il est, ensuite, condamné à la damnation éternelle. [...]
[...] Mais il se double également d'une richesse de lecture supplémentaire, à travers une construction classique, qui est celle de la morale et du symbole. Basculant entre mythes et réalités, ce récit apparaît comme une leçon et semble au XXIe toujours porteur de réflexions sur les véritables aspirations humaines, les limites nécessaires et revitalise la question d'un « ordre » immuable indépassable. La damnation renvoie à celle de Faust, héros populaire allemand du XVe qui pactisera avec le diable, par refus de ses propres limites. [...]
[...] Et enfin, la certitude d'un destin scellé, celui d'une vie « horrible ». Si la damnation du personnage prend surtout une forme dramatique, elle n'en reste pas moins cinglante et renvoie à une remise en perspective du caractère humain des êtres, sous le regard divin. En effet, l'Homme n'est pas Dieu et ne peut, par conséquent, se prévaloir d'un pouvoir qu'il ne possède pas. Ce récit est une fiction, pourtant, il symbolise avec justesse, au-delà des désirs et peurs de l'époque, les questionnements métaphysiques inhérants à la nature humaine, notamment celui de « dépasser » l'Homme et de s'octroyer des pouvoirs interdits. [...]
[...] Nous verrons, dans un premier temps, que la question de l'interdit et de la transgression est ici centrale. Puis, nous analyserons en quoi la réflexion progresse jusqu'à la perte irrévocable de l'Homme lui-même. Nous sommes tout d'abord face à un récit respectant un schéma traditionnel et un personnage scientifique qui apparait, dès les premières lignes, comme « véhément », passionné et« parfois violent ». C'est un peu comme si le texte contenait, dès le début, en germe, les graines d'un drame annoncé. [...]
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