Nous tâcherons dans notre analyse d'étudier la manière dont ce roman relève de l'absurde.
[...] C'est le propre des grandes œuvres de vivre à travers les siècles sans être complètement déchiffré telle une équation mathématique. Ce court roman n'a pas fini de nous faire réfléchir à travers les générations successives et les différentes lectures que nous pourrons en faire tout au long de notre vie. [...]
[...] Le tour de passe-passe s'est joué entre les deux. Au lecteur déjà prévenu, l'attitude des juges apparaît à la fois « injuste » et « inévitable », et nous sommes conduits à incorporable conclusion que le vrai motif de la condamnation de Meursault n'est pas son crime mais « son innocence que le crime n'a pas entachée ». Reste à savoir pourquoi l'auteur nous a mené là. Contrairement à ce qu'a écrit un peu vite Gérard Genette, si toutes les unités narratives se commandent rétroactivement les unes les autres, il n'est pas vrai que rien ne commande la dernière. [...]
[...] S'il y a un récit où triomphe ce déterminisme rétrograde, c'est bien le roman de Camus. Au moment où il commence à le rédiger, il n'a sans doute qu'une vague idée de l'intrigue. Mais il savait depuis longtemps déjà, ses notes et ses premiers essais le prouvent, qu'au bout du livre, il y aurait une condamnation à mort et que cette condamnation frapperait un innocent. Pour en arriver là, il lui fallait d'abord présenter les faits de telle sorte que, tout en préparant la conclusion fatale, ils paraissaient échapper à son attraction. [...]
[...] Meursault refuse de mentir, il ne respecte pas les règles du jeu social. C'est une raison suffisante pour que la société décide de l'éliminer. Toutefois, pour faire accepter ce verdict, une affabulation est nécessaire. Si Meursault se montrait agressif à l'égard de la société, s'il commettait des attentats ou séquestrait des otages, son élimination ne surprendrait personne. Mais le comportement que l'auteur lui prête ne se caractérise que par des traits négatifs : c'est un homme simple, sincère, qui n'a ni ambition, ni arrière-pensée, qui ne voit jamais plus loin que l'instant présent, donc un être foncièrement inoffensif. [...]
[...] Sans doute, le choix de l'Arabe, dans le contexte colonial, n'est-il pas innocent ; mais le réduire à une manifestation inconsciente, c'est en méconnaître la signification narrative ; il répond à la logique absurde du récit. Comment se fait-il alors que l'invraisemblance de l'histoire imaginée par Camus passe si facilement inaperçue du lecteur ? Gérard Genette dans Vraisemblance et motivation a montré jadis que tout récit dans la mesure où il re-présente rétrospectivement les événements, obéit à un « déterminisme rétrograde ». Le narrateur, au moment où il écrit les premières lignes, sait déjà vers quoi il va, et c''est en fonction de cette fin qu'il raconte. [...]
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