« Il est aussi absurde de dire qu'un homme est un ivrogne parce qu'il décrit une orgie, un débauché parce qu'il raconte une débauche que de prétendre qu'un homme est vertueux parce qu'il a fait un livre de morale, tous les jours on voit le contraire. C'est le personnage qui parle et non l'auteur ; son héros est athée, cela ne veut pas dire qu'il soit athée, il fait agir et parler les brigands en brigands, il n'est pas pour cela un brigand. À ce compte, il faudrait guillotiner Shakespeare, Corneille et tous les tragiques, ils ont plus commis de meurtres que Mandrin et Cartouche. »
Théophile Gautier, Préface de Mademoiselle de Maupin.
Gautier, en 1836, année de parution de « Mademoiselle de Maupin » écrit dans la préface : « il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien, tout ce qui est utile est laid. ». L'art pour l'art qui est le point nodal de cette préface prône une littérature privilégiant la liberté et la recherche du Beau, mais du Beau inutile. Gautier se fait le théoricien d'un triple refus : il refuse une poésie politique, une poésie philosophique et une poésie sentimentale, il faut comprendre le terme poésie au sens aristotélicien, c'est-à-dire dans une acception très large. En ce sens il s'oppose aux théories romantiques qui prônent une littérature ancrée dans le présent et engagée. Victor Hugo définit dans William Shakespeare ce que doit être l'action spécifique du théâtre et, au-delà, de toute œuvre littéraire : le dramaturge doit s'inscrire dans les luttes de son temps, l'œuvre doit concilier le Beau et l'utile ! Gautier s'oppose également au lyrisme qui prône tout comme le romantisme l'émancipation et la suprématie du moi. Gautier se fait le partisan d'une littérature impersonnelle, ses opposants défendent pour leur part une littérature nominativement engagée. Chateaubriand dit d'ailleurs : « c'est dans les bois que j'ai chanté les bois, sur le vaisseau que j'ai peint l'Océan […] j'ai mis la main au siècle ». Du reste, quant au fait de savoir si l'auteur où le personnage assume ses dires et ses actes il convient de répondre que : « le langage n'est jamais innocent » comme le pensait Sartre et que : « tout se passe dans l'intime de l'artiste » ainsi que l'énonce Paul Valéry. En d'autres termes il faut reconnaître que le sujet de la littérature n'est pas le je du dramaturge où le je du personnage mais le nous de la conscience collective.
Gautier recherche donc une visée hermétique de la production littéraire. La littérature ne doit avoir d'autre but qu'elle-même. Dans la préface il défend la théorie de la liberté de l'auteur, qui, tout comme l'artiste, peut peindre et décrire ce qu'il souhaite. L'accuser d'être immoral ou mensonger c'est lui faire un faux procès, car son domaine n'est ni le Bon, ni le Vrai, mais le Beau. En ce sens toute censure est donc absurde. Il convient de revenir sur chacun de ces points.
[...] Gautier se fait le théoricien d'un triple refus : il refuse une poésie politique, une poésie philosophique et une poésie sentimentale, il faut comprendre le terme poésie au sens aristotélicien, c'est-à-dire dans une acception très large. En ce sens il s'oppose aux théories romantiques qui prônent une littérature ancrée dans le présent et engagée. Victor Hugo définit dans William Shakespeare ce que doit être l'action spécifique du théâtre et, au-delà, de toute œuvre littéraire : le dramaturge doit s'inscrire dans les luttes de son temps, l'œuvre doit concilier le Beau et l'utile ! [...]
[...] Il convient de revenir sur chacun de ces points. Le premier argument de Gautier est le suivant : l'auteur peut peindre ce qu'il veut Il en découle que le dramaturge peut mettre sur la scène tout ce qu'il désire, que le poète peut traiter n'importe quel sujet. Gautier dit d‘ailleurs : À ce compte, il faudrait guillotiner Shakespeare, Corneille et tous les tragiques, ils ont plus commis de meurtres que Mandrin et Cartouche Ainsi, Gautier justifie de cette façon le fait de voir Racine mettre en scène l'assassinat de Britannicus dans la scène 4 de l'acte V : Madame, c'en est fait, Britannicus expire Gautier joint également le geste à la parole dans Symphonie en blanc majeur, tirée du recueil Émaux et Camées : Son sein, neige moulée en globe, Contre les camélias blancs Et le blanc satin de sa robe Soutient des combats insolents. [...]
[...] Si les pièces de l'Antiquité n'échappent pas à cette règle, il en va de même pour certaines œuvres plus proches de nous temporellement. C'est exactement ce que parvient à faire Molière qui laisse à la postérité des titres d'œuvres devenus des noms communs : un avare, un tartuffe. Il laisse à la postérité des scènes d'anthologie : Au voleur ! Au voleur ! À l'assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste Ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. [...]
[...] L'auteur ne doit pas s'effacer derrière son personnage mais derrière l'espèce humaine. Hugo abonde d'ailleurs dans ce sens dans William Shakespeare : Nous concluons à une littérature ayant ce but : le Peuple. Le Peuple, c'est-à-dire l‘Homme. L'homme on le sait est un animal politique, et l'auteur bien sûr ne fait pas exception. Chaque auteur qui écrit devrait avoir la volonté de laisser son œuvre à la postérité. Nous entendons par cela faire de son œuvre un classique porteur d'une vérité générale, vraie au moment de l'écriture de l'œuvre, mais encore vraie en tout temps. [...]
[...] Selon lui l'art ne transmet pas d'idées ou de morales. Il s'oppose par exemple dans ce second refus à Vigny, qui traite de la solitude morale du génie dans Stello et Chatterton : Comme le Pouvoir est une science de convention selon les temps, et que tout ordre social est basé sur un mensonge plus ou moins ridicule [ ] vous comprenez que le Pouvoir quelque il soit trouve une continuelle opposition dans toute œuvre ainsi créée. Il est bien évident également que Vigny ne se retranche pas derrière ses personnages, c'est Vigny lui-même qui finalement prononce ces paroles par le truchement d'un personnage. [...]
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