Bien chers tous et toutes, enfants et enfants de mes enfants,
Il y a sans doute de l'ironie à ce qu'un vieil homme comme moi veuille vous poursuivre jusque dans votre présent pour vous parler de ce que vous avons appris à taire. Comme père et comme grand-père, j'ai peu parlé. Vous aviez beaucoup à me dire ; j'étais curieux de vous écouter.
[...] Quand vous en saurez davantage, j'espère que vous me pardonnerez d'avoir tant tardé, je ne m'explique pas moi-même cette impasse et je souhaite aujourd'hui qu'elle ne demeure pas ainsi. Mais lorsque je réfléchis aux raisons de mon silence, j'y vois des explications aussi diverses que la force tranquille et têtue du quotidien qui l'emporte souvent sur les résolutions les plus tenaces ; la peur de ressusciter un monde dont le souvenir pique comme l'espoir et brûle comme la peur. Car lorsque nous disions ne pas savoir, nous savions. A chaque instant où nos esprits lutter vous oublier, nous nous souvenions. [...]
[...] Car s'il est une chose que je redoute davantage que votre jugement, c'est le regard sévère que vous porteriez sur moi si vous pensiez que je n'ai jamais voulu vous raconter. Pas un jour ne s'est passé sans que j'y repense, sans que j'espère trouver le courage et l'envie de vous réunir tous et toutes. Ce temps n'est pas venu, alors je confie à l'écriture ce vieux rêve d'en discuter avec vous. Ne m'en veuillez pas trop de ne faire si tard. [...]
[...] Peut-être est-ce le sentiment du temps qui m'a fait reconsidérer ma position première. Longtemps, je n'ai pas jugé utile de vous importuner avec des vieilles histoires auxquelles votre naissance tardive vous a permis d'échapper. Ou pour être plus exact : j'aurais jugé criminel de vous les imposer. C'est pourquoi aujourd'hui je préfère vous les proposer, et cette longue introduction n'a pas d'autre but que de vous mettre en garde : sentez-vous libres de ne pas porter vos yeux au-delà de ces mots. [...]
[...] Vous aviez beaucoup à me dire ; j'étais curieux de vous écouter. Cette harmonie est sans doute responsable de votre état d'ignorance actuelle, état dont je suis l'entier responsable : je ne voudrais pour rien au monde que vous fussiez offensés d'être qualifiés d'ignorants. Il y a dans l'absence de connaissance une pureté et une candeur que je révère trop pour que ce mot « ignorant » ait une quelconque connotation négative lorsque je l'emploie. A dire le vrai, je me suis aussi qualifié d'ignorant lorsque cela m'a semblé de nature à me protéger. [...]
[...] Aussi je ne serai pas à vos côtés pour répondre à vos questions, car je crains par-dessus tout votre jugement. Percevoir dans vos questions des reproches qui me seraient adressés alors qu'ils devraient l'être bien plutôt à l'époque qui m'a vu naître, cela me serait insupportable. Je n'étais pas seul, et pourtant ce serait seul qu'il me faudrait répondre à vos demandes d'éclaircissement. Il n'y a rien qui puisse être éclairci dans ce que nous avons fait ou ce que nous n'avons pas fait. [...]
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