Parallèlement au déclin du Vieil Elbeuf, ce sont les étapes de l'ascension du magasin rival qui rythment le roman, de 1864 à 1869. Deux étapes sont essentielles : celle de deux grandes ventes, tandis que le quatorzième et dernier chapitre clôt le roman par une apothéose, et celle de la vente de blanc, avec l'extension du magasin dont les façades s'ouvrent désormais sur plusieurs rues. Les concurrents, Bourras, Baudu, et Robineau, ancien employé du Bonheur, disparaissent du marché du tissu et de la mode.
Au Bonheur des Dames est bien un roman naturaliste qui présente l'ensemble du grand magasin, son organisation, la vente et la clientèle. Descriptif, le texte est aussi narratif : c'est à travers le regard et les rencontres entre des personnages que nous découvrons l'univers du grand magasin. Pour faire l'économie de descriptions massives, Zola recourt à la psychologie en action et utilise le point de vue de Denise dont il livre les sentiments. Outre l'évocation des trois grandes ventes qui scandent le roman, il montre Denise évoluant dans le magasin comme chez les Baudu aux chapitres 1, 8 et 13. Le déclin du Vieil Elbeuf apparaît par contraste. Quant à Mouret, il se signale par ses inspections périodiques. Il s'adresse à Paul de Vallagnosc, qui était avec lui au collège à Plassans-en-Provence mais qui a connu un destin social très différent, et au baron Hartmann, pour les questions financières. Les conversations se font, par exemple, à l'heure du thé chez Madame Desforges, aux chapitres 3 et 9.
[...] Mouret fait venir des produits du monde entier. Le magasin est un vaste piège où il s'agit de perdre et de séduire les clientes qui succombent fatalement au mécanisme : Il y avait là le ronflement continu de la machine à l'oeuvre, un enfournement de clientes entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. Et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique, tout un peuple de femmes passant dans la force et la logique des engrenages.» Denise est elle aussi engloutie par le monstre : Elle se sentait perdue, toute petite dans le monstre, dans la machine encore au repos, tremblait d'être prise par le branle dont les murs frémissaient déjà.» Mais en fait, elle en tombe amoureuse en la personne de Mouret et tente de l'humaniser au nom du progrès. [...]
[...] L'évolution économique a montré que la vieille industrie symbolisée par Germinal a laissé place, au XXe siècle, à un capitalisme plus ludique dont le Bonheur des Dames ne constitue que les prémices. Dans La Société de consommation, le sociologue Jean Baudrillard étudie en 1970 les nouveaux espaces commerciaux, la fluidité des biens et des produits leur gratuité dans une surenchère de signes, d'objets, de messages publicitaires et de plaisirs. Un nouveau monde à la fois luxueux et festif est en train de naître. [...]
[...] Au contraire, modèle de mérite et de vertu, cette femme moderne et active contraste avec les bourgeoises vaniteuses ou guindées de l'époque et avec les provinciales à la vie étriquée que décrit Balzac dans la génération précédente. Attachée à la réussite du magasin, Denise entend humaniser le travail et développe des idées sociales. Elle est au centre de tous les éléments du récit. Elle suscite les jalousies de certains et est renvoyée pour réapparaître ensuite. Fascinée par la puissance du grand magasin qui incarne la vie et la lumière, elle se désole aussi du sort de son oncle Baudu. [...]
[...] On entendait un gros bruit de mâchoires. Robineau était condamné, chacun déjà emportait son os.» Nous rejoignons le conflit des Gras et des Maigres, présent dans Le Ventre de Paris et dans Germinal. La logique moderne de l'affrontement ruine surtout les petits commerces du quartier : C'étaient de nouveaux écroulements chez les boutiquiers des alentours [ ] Le désastre s'élargissait, on entendait craquer les plus vieilles maisons.» Ce sont les métaphores du monstre et de la machine qui sont les plus présentes dans le roman. [...]
[...] D'autres enfin se laissent aller à voler La volonté de Mouret de dominer le marché fait sans cesse monter la fièvre des achats. L'espace et les mythes Les magasins étroits et sinistres du petit commerce s'opposent aux vastes surfaces du Bonheur des Dames, qui ne cesse de s'agrandir en dévorant le pâté de maisons entre l'Opéra et la Bourse, deux hauts lieux du temps. Mouret a compris que l'espace, le territoire et le marché sont des lieux de pouvoir qu'il convient d'organiser et de valoriser par la technique des étalages. [...]
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