Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline (1932), Bardamu et Bébert, errance humaine, années 30, société française, prix Renaudot, roman d'initiation, Première Guerre mondiale, misère humaine, décadence des hommes, conception antihumaniste, fatalisme, commentaire composé
Les années 30 marquent un véritable tournant sur tous les plans. C'en est fini de l'euphorie générale des années 20 que le traumatisme de la Grande Guerre et son cortège mortifère avait provoqué dans la société française. Très vite, les réalités effroyables étouffées par l'allégresse ambiante refont surface et la désillusion s'installe. De nouvelles conjonctures explicitent ce réveil : l'Europe connaît une crise économique, sociale, politique, mais également intellectuelle. Les écrivains prennent conscience de l'ampleur de la situation et certains se positionnent en attaquant l'enthousiasme aveugle qui peine à disparaître.
[...] Car pour Céline l'obéissance est cause de misère, et de ce fait Bardamu tente de dicter ses actions par sa seule volonté primitive. Mais l'insoumis se rend compte très vite qu'il s'est bercé d'illusions et qu'il ne peut que se plier aux règles. De retour en France, il termine ses études de médecine et se heurte à l'adversité sociale et au souvenir de la guerre. Dans la deuxième partie du roman, Bardamu exerce sa profession en banlieue parisienne, dans la ville fictive de La Garenne-Rancy, lieu dont le toponyme évoque les impuretés environnantes. [...]
[...] Les réflexions du narrateur On a vu dernièrement que la rencontre entre Ferdinand Bardamu et Bébert était l'occasion de décrire le jeune garçon dans un portrait en action souvent interrompu par les nombreux commentaires et réflexions du narrateur. En effet tout d'abord Bébert a un espace de parole restreint, et le peu qu'il dit renseigne le lecteur sur sa simplicité d'esprit. Par exemple le récit adopte son point de vue dans une brève focalisation interne comme le démontre la périphrase « le médecin du coin à l'endroit où l'autobus s'arrête » (ligne 9). [...]
[...] La décadence des hommes Le réalisme dépeint par Céline est percutant et le lecteur, plongé dans une peinture contradictoire des individus, se heurte à des réflexions exaltées qui indiquent dès lors un point de non-retour. On a vu précédemment que les commérages dont Bébert se nourrissait instinctivement entachaient le quartier d'une poussière pullulante. Cependant leur omniprésence les a démocratisés, de telle sorte qu'on ne leur reconnaît plus aucune futilité ou malveillance : « On peut puer de la gueule, on est tranquille après ça. » (Ligne Car seuls les rituels quotidiens et absurdes que s'est imposés le voisinage forgent la réputation de chacun. [...]
[...] L'évidence se résume ainsi : nous ne sommes que des êtres de passage et nos rêves de fortune ne sont que des chimères. Toutes les circonstances énoncées préludent non seulement la fin pathétique du personnage de Bébert, mais aussi la fin de toute présence humaine sur Terre. En conclusion, cette scène de rencontre nous montre un Ferdinand Bardamu touché par l'innocence et la misérable apparence d'un enfant qui ignore les vérités inavouables de l'avenir humain. Effectivement, Bébert ne soupçonne aucunement sa fébrilité et la fin qui approche à grands pas, contrairement au médecin témoin de son horrible dégradation. [...]
[...] Dans une injonction impersonnelle, Ferdinand adopte un regard philosophique sur l'amour éprouvé pour cette enfance qui méconnaît tout ce qui peut engendrer la corruption de l'âme : « Tant qu'il faut aimer quelque chose, on risque moins avec les enfants qu'avec les hommes, on a au moins l'excuse d'espérer qu'ils seront moins carnes que nous autres plus tard » (ligne 16). Ainsi, le médecin constate que l'on peut éprouver plus facilement de l'amour pour un enfant que pour un adulte, car le premier entretient l'espoir d'une espèce humaine aux qualités morales supérieures, contrairement au second. Pourtant, le jeune âge de Bébert le rend plus vulnérable et plus influençable. Enseigné par sa tante aux médisances du quartier, il semble avoir assimilé les habitudes mauvaises de ses aînés. [...]
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