Ecrivain de la mégalopole, de l'errance et du hasard, Paul Auster est l'auteur le plus complexe et fascinant de sa génération. En trois ans, de 1985 à1987, ce jeune romancier de confession juive conquit le public et les milieux littéraires de son pays. Avec la « Trilogie new-yorkaise » Paul Auster fait de New-York ce que Balzac avait fait pour Paris. C'est avec justesse et réalisme qu'il donne à sa ville de prédilection le statut de personnage tant il l'intègre à la narration. Profondément attaché à notre langue, puisqu'il a traduit Mallarmé et Du Boucher, Auster est parfois considéré comme le « Mondiano américain » tant ses thèmes sont proches du grand romancier français : le goût du mystère, la fascination des disparitions, le culte du secret et la sourde et indéfinissable inquiétude.
La plupart des romans d'Auster sont des autobiographies de personnages car ce qui intéresse l'auteur : « C'est le trajet global d'une vie. Non seulement les moments isolés mais toute l'amplitude d'une vie avec ses sinuosités. » Le Voyage d'Anna Blume dont le titre original est In The Country of Last Things, en est le témoignage car c'est en effet la vie d'Anna, jeune fille de dix neuf ans qui nous est racontée à travers une longue lettre qu'elle écrit à un ami. Bien qu'il ne s'agisse que d'une partie de son existence, l'œuvre répond bien à la volonté de l'auteur d'entrer dans les replis de l'âme du personnage. Auster nous raconte dans cette nouvelle, que l'on peut également considérer comme un court roman, la vie d'Anna au « pays des choses dernières », pour reprendre la traduction du titre original. Partie à la recherche de son frère dans cet endroit mystérieux, Anna découvre un univers angoissant, presque indéfini, qui semble sur le point de disparaître. Au cours de ce voyage qui sera finalement plus long que prévu, Anna traverse de nombreux lieux très différents notamment la bibliothèque de la ville qui occupe une place importante à la fois dans l'œuvre comme dans le cœur de la jeune femme puisque c'est dans ce milieu particulier qu'Anna vivra ses plus grandes joies.
On peut alors se demander en quoi la bibliothèque incarne un élément essentiel dans ce roman où l'accent ne semble être mis au premier abord que sur l'histoire du voyage. Comment les réflexions sur les livres et l'acte d'écrire qu'engendre la bibliothèque deviennent finalement les clés de l'œuvre ?
C'est à travers un voyage au « pays des choses dernières »qui nous mènera à une évidence : « Dis moi quelle bibliothèque tu as et je te dirai qui tu es. » que nous découvrirons une vision de l'écriture comme possible espoir de renouveau.
[...] Dans Le Voyage d'Anna Blume, l'écriture est porteuse d'un message d'espoir qui naît progressivement chez Sam et Anna. Le waste land dans lequel Paul Auster fait évoluer ces personnages est bien peu propice à un espoir de renouveau. Cependant, grâce à la préparation du livre le jeune couple retrouve un réel désir de croire que leur tragique destin au pays des choses dernières n'est pas inéluctable. L'espoir renaît au fil des jours, le livre qui prend forme laisse entrevoir à présent un avenir plus serein. [...]
[...] Mais l'entreprise de Sam s'avère difficile. Dans un premier temps sur le plan matériel, il manque d'argent et l'aide financière que lui apporte Anna n'est pas suffisante. Par ailleurs, sur le plan moral et psychologique, écrire est un acte particulièrement douloureux pour Sam qui raconte la vie dans cet univers apocalyptique. Il n'est pas en état d'évoquer ce qui le touche au plus profond de lui-même. Son métier de journaliste impose la maîtrise du langage. Son impossibilité à s'exprimer n'est que le résultat de sa souffrance et de sa douleur qu'il tente d'exprimer. [...]
[...] La bibliothèque devient une sorte d'arche de Noé humaine qui abrite des êtres très différents mais réunis par un seul et même but : survivre. Jour après jour, cette population forcée à la cohabitation recrée au sein de la bibliothèque un véritable univers. Même si, la bibliothèque, au même titre que la chambre dans les œuvres d'Auster, n'est qu'un refuge transitoire, elle reste pour les personnages du roman un univers à part entière. Anna en est bien consciente p118 : J'ai habité avec Sam dans la bibliothèque et pendant les six mois suivants, cette petite chambre a été le centre de mon univers. [...]
[...] Le bâtiment même symbolise la puissance politique. Il représente le pouvoir et la prospérité qui régnait jadis dans la ville. Comme le disait Gabriel Naudé dans son ouvrage Avis pour dresser une bibliothèque : La bibliothèque est un instrument qui doit assurer la renommée de celui qui l'a construite. Cependant, au fil de l'œuvre, ces notions de gloire et de prestige s'effritent pour laisser la place à une image de l'édifice qui n'a pas été épargné par le délabrement qui touche la ville. [...]
[...] Dès leur rencontre, Sam avoue à Anna : p.115 Je ne peux pas m'arrêter. Ce livre est la seule chose qui me maintienne. Il m'empêche de penser à moi-même et d'être englouti dans ma propre vie. Si jamais d'arrêter d'y travailler, je serais perdu. Je ne crois pas que je survivrais un jour de plus ».Ecrire devient un moyen de survie C'est désormais un besoin vital pour lequel ils sont prêts à renoncer à certains privilèges, Anna en est consciente : p.126 [ ] à moins que nous n'acceptions de voir le livre prendre un temps infini il nous fallait faire certains sacrifices.» Cette idée d'échappatoire se fortifie au fil de l'œuvre, au même titre qu'il faut brûler pour vivre, il faut aussi écrire pour vivre. [...]
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