Reprenant la tradition des fabliaux du Moyen Âge, Voltaire fustige d'abord la gourmandise et la lubricité de certains prêtres. Ainsi, ce qui vaut au prieur de Kerkabon l'estime générale de ses voisins est d'échapper à cet excès alimentaire et de bien supporter l'alcool : "il était le seul bénéficier - prêtre qui dispose d'un patrimoine attaché à sa charge ecclésiastique - du pays qu'on ne fût pas obligé de porter dans son lit quand il avait soupé avec ses confrères." (ch.1). Voltaire caricature ainsi les hommes d'Eglise en une bande d'ivrognes peu soucieux du péché de gourmandise. De plus, Voltaire suggère que le prieur n'a pas toujours respecté le voeu de chasteté : "il était aimé de ses voisins, après l'avoir été autrefois de ses voisines." (ch.1). Enfin Voltaire parachève le portrait d'un joyeux hédoniste en disant que "quand il était las de lire saint Augustin, [il] s'amusait avec Rabelais", humaniste assez opposé à la pensée du père de l'Église. Cet appétit de nourriture et de corps se retrouve chez les hauts dignitaires de l'Église, qui entretiennent des relations avec les dames (ch.13) : le père de La Chaise, l'archevêque et l'évêque de Meaux s'enferment chacun avec une femme, sans doute leur maîtresse, et le père Tout-à-tous reçoit comme cadeaux "des boîtes chocolat, de café, de sucre candi, de citrons confits." (ch.20).
À ces faiblesses s'ajoute la cupidité des religieux. Au chapitre 19, un espion jésuite trahit son frère pour un petit bénéfice. Par intérêt, des prêtres ferment en outre les yeux sur les vices des puissants : le père Tout-à-tous change totalement d'attitude lorsqu'il apprend que c'est M. de Saint-Pouange, le favori d'un ministre, qui a tenté de séduire Melle de Saint-Yves (ch.16). L'auteur a d'ailleurs choisi le nom du père Tout-à-tous de manière très significative : ce nom peut faire ironiquement référence à l'affirmation de Paul dans les Epîtres aux Corinthiens : "Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous". On peut aussi penser à la devise jésuite : "s'oublier complètement pour être tout à tous". Or l'attitude du jésuite, qui perd Melle de Saint-Yves plutôt qu'il ne la sauve et ne pratique guère l'abnégation, confère une dimension très ironique à ce nom (...)
[...] Ils accueillaient les croyants désirant, par vocation religieuse, s'enfermer hors du monde. En apprenant qu'on y a enfermé la belle Saint- Yves pour la séparer de lui, l'Ingénu évoque les couvents comme une espèce de prison où l'on tenait les filles renfermées, chose horrible, inconnue chez les Hurons et chez les Anglais. (ch.6). Les pouvoirs publics français cédèrent progressivement aux critiques qui s'élevaient contre ces abus : en 1768, un édit royal interdit de prononcer des vœux avant l'âge de vingt et un ans, et supprima certains couvents. [...]
[...] Pour les jansénistes, il n'y a donc pas de liberté humaine. De plus, Voltaire s'oppose aux parlementaires impliqués dans plusieurs erreurs judiciaires (le parlement de Toulouse avec les affaires Calas et Sirven, celui de Paris avec la condamnation du chevalier de La Barre). Or, les parlementaires sont assez souvent jansénistes : en 1760, ils apparaissent donc comme des fanatiques. Mais sous le règne de Louis XIV, les jansénistes étaient persécutés par les jésuites ce qui explique que Voltaire, en dépit de son opposition à la doctrine crée le personnage sympathique du janséniste Gordon notamment lors de la répression contre les religieuses du couvent de Port-Royal, haut-lieu spirituel et pédagogique du jansénisme. [...]
[...] Cette idée se heurte pour Voltaire à celle de l'existence du mal. Au début du conte, tous les personnages, sauf le héros porte-parole de Voltaire, professent des thèses providentialistes : ils admiraient tous la Providence et l'enchaînement des événements de ce monde. (ch.2). Gordon fait de même et le Huron ne déguise pas ses doutes face à Gordon, qui loue Dieu d'avoir mis de grands desseins en lui puisqu'il l'a conduit du Canada en Angleterre puis en France pour le baptiser et faire son salut en prison. [...]
[...] Les récits des voyageurs ne mentionnent en effet pas de guerres religieuses entre indigènes américains. L'Ingénu constate également qu'en Angleterre on laissait vivre les gens à leur fantaisie (ch.1). Voltaire qui a été contraint à l'exil à 32 ans en Angleterre et vante les lumières et la liberté de la société anglaise dès ses Lettres philosophiques (1734) met ainsi en relation la prospérité de cette nation et la tolérance qui y règne alors entre communautés chrétiennes. Enfin l'Ingénu incarne le déisme et agit selon les valeurs morales jugées essentielles par l'auteur : bonté, courage, générosité, tolérance. [...]
[...] Transition : les attaques de Voltaire contre les excès des religions le firent parfois passer pour un athée. Toute son œuvre, y compris les contes, témoigne cependant de son déisme, c'est-à-dire de la conviction qu'il existe un Dieu suprême, en dehors d'un dogme ou d'une religion révélée. III. LA RELIGION DE VOLTAIRE : LE DÉISME La condamnation de tout l'appareil religieux ne signifie pas chez Voltaire la condamnation de tout sentiment religieux et Voltaire dénonce avant tout les sectarismes et les fanatismes de tout bord. [...]
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