Voltaire, "L'Ingénu" - publié le 09/04/2008

Résumé du document

Il apparaît, en effet, que le « comique » se situe tout en bas, laissant progressivement les places les plus élevées (nobles ?) à la sensibilité et au pathétique. Certes, le comique comportant une dévaluation de son objet, semble incompatible avec un idéal artistique de grandeur et d'exaltation tel que peut l'exprimer le pathétique. Moquerie et raillerie sont, en effet, les éléments qui contribuent à entretenir l'idée d'une hiérarchie entre les catégories littéraires et artistiques (...)

Extraits

[...] Notre propre lecture s'inscrira-t-elle, à son tour, dans cet emboîtement original et distancé ? Tout en ayant reconnu la pertinence du point de vue du critique contemporain sur l'Ingénu, il nous semble qu'il passe sous silence ce qui fait de l'Ingénu autre chose qu'un pamphlet humoristique, rondement mené par un auteur de talent. l'Ingénu n'est-il pas aussi un conte, un conte philosophique, et un roman d'apprentissage ? Dès l'incipit, nous trouvons tous les indices d'un univers proche du merveilleux, avec une montagne animée et personnifiée, avec des coïncidences qui ne surprennent pas le lecteur déjà engagé dans un univers féerique : les personnages sont en train de se promener quand arrive le vaisseau anglais, et personne non plus ne s'étonne d'entendre ce Huron parler parfaitement le français ! [...]

[...] Que pensez-vous de ce point de vue sur L'Ingénu ? Volontiers railleur, Voltaire s'inclinait devant l'œuvre de l'Arioste, et sa correspondance révèle qu'il n'hésitait pas à placer Orlando au-dessus de Don Quichotte et aux côtés de l'Iliade et l'Odyssée. La phrase de Voltaire, que commente un critique contemporain, précise qu'il appréciait ces railleries si naturelles dont il assaisonne les choses les plus terribles Ces propos peuvent être un miroir de l'écriture voltairienne, mais s'agit- il, pour autant, d'une définition ? [...]

[...] De plus, l'interprétation naïve des textes saints par le Huron donne lieu à des situations cocasses. Satire du pouvoir et satire de la casuistique jésuite, avec l'argumentation du père Tout-à-tous, sont servies par toutes sortes de procédés ironiques, qui confèrent à cette œuvre les charmes perfides du comique : bien qu'il soit votre époux en idée, en espérance, il ne l'est pas en effet : ainsi vous ne commettriez pas un adultère Ainsi, après avoir fait de l'amant un mari on efface l'adultère ! [...]

[...] Tout en suscitant le plaisir du récit, Voltaire utilise la religion, la politique, le respect de l'altérité et de la liberté pour éveiller la réflexion critique du lecteur sur ces grands thèmes philosophiques. Après avoir mis en regard le point de vue du critique à propos de l'Ingénu, et celui de Voltaire à propos de l'Arioste, il nous reste à qualifier le pointe de vue contemporain, et voir en quoi cette perception est objective, neutre ou plutôt personnelle. L'analyse stylistique de la phrase que nous commentons révèle immédiatement qu'il ne s'agit pas du tout d'un point de vue neutre, mais d'un point de vue très élogieux : Est-il meilleure définition Le superlatif, en effet, ainsi que l'adverbe hyperbolique savamment témoignent d'un regard admiratif sur l'Ingénu, d'autant qu'il se trouve encore renforcé par la litote sous forme de négation : sans renoncer aux charmes perfides litote qui souligne le fait que Voltaire aurait pu ne faire qu'une œuvre sensible et pathétique, mais point comique, or il peut même intégrer tous les registres en un seul récit. [...]

[...] Toutefois, ce point de vue loin d'être neutre, est très élogieux et reflète le propre point de vue de Voltaire sur la littérature qu'il apprécie, celle de l'Arioste en particulier. Ainsi, l'Ingénu ne peut se réduire à un pamphlet humoristique, brillamment tourné par un auteur de génie, mais il prend aussi la forme d'un conte philosophique, voire celle d'un roman d'apprentissage parodiant le roman sentimental. Aucune définition ne nous semble donc pouvoir contenir la richesse de l'Ingénu. Synthèse d'une philosophie de la vie, l'Ingénu prône la tolérance et le respect des autres formes de culture. [...]