Il s'agit, en tentant de comprendre le véritable enjeu de l'insertion de la folie au sein d'un récit dramatique (ici L'hypocondriaque de Rotrou; 1631), d'essayer de percevoir comment l'environnement socio-historique, ses normes et ses pathologies ont permis l'émergence du concept de folie dans le domaine de l'art (à l'époque baroque).
[...] Elle serait ainsi déterminée, négativement, en creux, face aux usages sociaux ambiants. La société, faisant office de délimitant pour cette folie floue, serait à la fois le symptôme et le remède. Mais ici, il ne s'agit pas tant pour Cloridan d'être en dehors d'une norme que d'être l'artisan, voire l'artiste, d'un nouveau mode de pensée. Il faut l'en guérir, car il conduit à la mort, mais sa dangerosité s'arrête là : Cloridan n'est pas une menace pour les autres, son délire n'est pas terrifiant (puisque sans animalité), et compréhensible (puisque rationnel). [...]
[...] L'amour, donc, passion profondément baroque, fait perdre pudeur, sens moral, et raison. Dans l'Hypocondriaque, comme de juste, le ressort essentiel de l'intrigue est l'amour, mais également le hasard. Et la Folie, avec la part d'imprécisions et de liberté (quant à la cohérence du personnage comme de l'histoire) qu'elle génère, est un prétexte parfait pour sa mise en scène. Comme le note le toujours juste Jean-Claude Vuillemin, L'esthétique baroque qui sous-tend le genre tragi-comique s'attache à peindre l'instable et l'évanescent de la condition humaine ( Les personnages de ce théâtre se prêtent volontiers au jeu pernicieux des apparences et de la réalité, de l'illusion et de la vérité Rotrou mettra ce principe à l'épreuve en développant, longuement et profondément, la folie de Cloridan qui se déploie de l'acte III à l'acte et qui donne son titre à la pièce. [...]
[...] Et s'il y a un baiser, il est innocent (v.117). Lysidor sera certes un peu plus téméraire, mais sera tué avant l'offense. La littérature, profuse sur la question, nous renseigne assez bien sur le caractère du fou. Dans les fictions, la forêt est traditionnellement le lieu où le chevalier perd la raison (l'on retrouvera encore ce paradigme pour le roi de France Charles VI). L'Hypocondriaque s'inscrit dans ce schéma : les premières scènes se déroulent dans un bois (occurrence v.246), puis, après, quelques péripéties, c'est encore dans un bois proche du chasteau (Argument) que l'on retrouve Cloridan, avant de tomber, évanoui, pour se réveiller hypocondriaque. [...]
[...] Rotrou, comme Rayssiguier ou Pichou, veut faire du théâtre un abrégé de l'univers comme il est dit dans le discours à Cliton (anonymement publié en 1637). L'idée n'est pas tant d'affranchir le théâtre des canons de l'Antiquité, mais bien plus de dépeindre avec emphase, mais véracité, la société de son époque. Le ‘principe baroque' tend donc à une action touffue et à une profusion d'intrigues, dont la diversification permet une diversité de lieux (et donc de décors toujours plus abondants). [...]
[...] La folie est-elle une déperdition, une diminution, ou au contraire un apport, une autre dimension, voire un excès ? Dans tous les cas, nous en sommes en présence d'autres proportions. Le monde n'a plus la même taille. Cette distorsion des rapports et ce qu'elle engendre est au centre de la problématique de la Folie. En effet, tenter de circonscrire la Folie, ce n'est rien d'autre que circonscrire les singularités et les disparités non seulement entre le monde, sa norme, et la propre échelle du fou, mais également les distensions de son lien social. [...]
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