C'est une bien étrange relation que celle qui rapprocha, pendant plus d'une trentaine d'années, Virginia Woolf, l'un des plus grands écrivains anglais de sa génération, et Duncan Grant, le peintre montant du groupe de Bloomsbury. Étrange parce que complexe, ambiguë, tiraillée entre des motivations parfois contradictoires, mais le plus souvent tendres, admiratives, entre deux artistes fondamentalement proches par leurs sensibilités, mais éloignés par leur pratique de deux arts différents.
[...] Cela n'empêchait pas l'amour, mais cela rendait les relations compliquées. Il y avait toujours une dimension sous-jacente qui brouillait un peu les cartes. Hélas ce sentiment a traversé les générations. La jalousie, ou l'envie va parfois se nicher au cœur des relations les plus intimes et les plus amicales. La jalousie est un sentiment enfantin. Il perdure parfois chez les êtres à qui n'a pas été donnée la chance de devenir tout à fait adultes. Cela n'empêche heureusement en rien le talent, ni parfois le génie. [...]
[...] Les relations entre Vanessa et Virginia étaient déjà d'une complexité rare. IL n'est pas question de les approfondir ici et ce travail a déjà été accompli par d'autres, mais nous pourrions, pour les résumer d'un trait, parler à la fois d'une grande proximité liée à une intimité profonde pendant leur enfance et leur jeunesse, alliée à un sentiment récurrent de jalousie. La jalousie de Virginia à l'égard de Vanessa portait essentiellement sur son impression que sa sœur avait une vie plus accomplie qu'elle-même. [...]
[...] Virginia commençait elle aussi de connaître plus qu'un succès d'estime. Duncan Grant, de son côté, fut toujours, comme en témoignent ses lettres, un fervent lecteur de Virginia Woolf. Quand il lit pour la première fois, à Cassis, dès sa publication, To the Lighthouse (La Promenade au phare), il est bouleversé et écrit immédiatement à Virginia pour lui dire son admiration, son émotion, et lui faire part de sa lecture personnelle, de ses questionnements, notamment sur la genèse du livre et sur le processus de sa conception : qui a inspiré quel personnage, quelle est la part de la mère de Virginia et celle de Vanessa dans la construction de la psychologie de Mrs Ramsay ? [...]
[...] Ce sera notamment le cas dans la relation que Duncan entretiendra autour de 1929 avec l'impossible George Bergen. Il est vrai que certaines questions semblent déjà contenir leur réponse. Vanessa lui apparaissait comme une sorte d'organisatrice et de gestionnaire hors pair : elle gérait d'une main de maître Charleston où les invités se succédaient sans faillir, sa relation avec Duncan qui vue de l'extérieur était un modèle de fidélité affective quand bien même le peintre multipliait les rencontres et les relations amoureuses avec de jeunes garçons. Fidélité n'est pas constance. [...]
[...] Aussi Virginia éprouva-t-elle toujours pour Duncan une certaine tendresse, en même temps qu'un réel intérêt pour son travail artistique. Il est vrai qu'à partir du moment où le jeune peintre connut un succès grandissant, les lettres ou le journal de Virginia n'encensent plus autant le travail artistique du jeune peintre. Elle va même, contrairement à son habitude et aux dires de tous les amis de Duncan, le trouver hautain et dédaigneux lors d'une de leurs rencontres dans le Sussex au moment où l'étoile de Duncan explose au ciel des gloires artistiques anglaises. [...]
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