On entend souvent parler, surtout dans notre siècle, de la force de la Pensée Humaine et de sa toute-puissance créatrice. Rien n'est impossible pour cette déesse infiniment riche; elle, qui fait de l'être humain un univers dans l'univers, peut, semble-t-il, constituer même son seul univers! Villiers de l'Isle-Adam, dans son oeuvre dramatique Axel, prête à un des personnages les paroles suivantes: "Sache une fois pour toujours, qu'il n'est d'autre univers pour toi que la conception même qui s'en réfléchit au fond de tes pensées. Telle est la vérité selon l'absolu que tu peux pressentir, car la Vérité n'est, elle même, qu'une indécise conception de l'espèce où tu passes et qui prête à la Totalité les formes de son esprit. Si tu veux la posséder, crée-la! Le monde n'aura jamais, pour toi, d'autre sens que celui que tu lui attribueras". Voilà une vision du monde profondément philosophique! Ainsi, une Vérité unique et objective n'existe pas, et chacun est censé se créer sa propre vérité, attribuer son propre sens au monde. Parfait! De cette façon on pourrait, dès que la réalité nous paraît affligeante, la recréer et ainsi, la corriger. Ce jugement a l'air de bien correspondre à l'esthétique d'une autre oeuvre de Villiers, l'Eve future. Les personnages de ce roman
agissent tout à fait selon ce principe. Ils créent leurs propres réalités, afin de corriger la réalité non-satisfaisante. Est-ce que cela les fait plus heureux? N'est-il pas trop dangereux de
jouer ainsi sur le vrai et le faux, le réel et l'artificiel, la création et la substitution?
[...] Il y a trop d'illusions perdues dans ce roman. Peut-il en être autrement, puisque chacun agit selon sa vérité personnelle? Ou plutôt, puisqu'une vérité objective et absolue n'existe pas? La vie, dans l'Eve future, ressemble à une vaste scène de théâtre. En effet, tout personnage qui attribue un sens au monde crée une réalité, tout comme un metteur en scène. Et comme le théâtre est le lieu par excellence de l'illusion, il en devient le symbole dans le roman. Ainsi Lord Ewald, quand il comprend qu'il a été trompé (dans la scène où Alicia est en effet Hadaly), s'écrie sur un ton pathétique (celui de "la dignité humaine" insultée) : "Mais j'oubliais! [...]
[...] Est-ce la Femme, puisqu'Evelyn Habal est une femme? Est-ce l'Homme, puisque Mr Anderson est un homme? La réponse sera probablement différente, en fonction de cela si elle sera donnée par Edison ou par Mrs Anderson. Il y a dans le roman une vraie guerre des sexes qui dans un moment donné évolue, d'une façon assez inquiétante, en une guerre métaphysique. Edison voit le procès du perfectionnement de l'Amour en vrai scientifique: il faut remplacer les composants qui se sont avérés non fiables par des éléments plus solides. [...]
[...] Une Trinité qui n'a rien de saint, rien de divin. Elle est monstrueuse comme le chant des rossignols morts duquel "le Dieu s'est retiré". On entend l'Andréide chanter dans le livre ch et voici les paroles de son air: "Fuis-moi! . Car je vaux moins qu'une fleur morte". Fleurs mortes, oiseaux morts, on dirait que Hadaly est quelque incarnation de la Mort en personne, une belle, fascinante par sa perfection, triste Mort qui glace les sens. Elle habite un sous-sol loin du soleil, et même quand elle sort sur terre, c'est le soir; elle dort dans un cercueil. [...]
[...] C'est ce qu'il ne peut pas supporter. Il veut le posséder à tout prix, et la seule façon de le retenir en vie, c'est de le lui offrir. L'amour s'est avéré impuissant d'accomplir son désir. Est-ce que la Science saurait le faire? Le personnage d'Edison, le scientifique exalté, vient répondre à cette question. Pour lui, la Science est tout à fait capable de donner à la vie un sens, et d'offrir l'inaccessible au genre humain. C'est lui qui dirige l'action, qui connaît les réponses, qui maîtrise tout dans le roman. [...]
[...] A plusieurs reprises, il compare son oeuvre à celui du Créateur, et la juge meilleure. Son Eve est plus durable, elle ne vieillit pas, elle est l'Intelligence même; bref, elle dépasse de loin les filles de Dieu. Edison a le rôle principal dans le défi, mais chacun des autres personnages a sa façon d'être rebelle (Alicia exceptée; elle est trop sotte pour cela): Mrs. Anderson, en participant dans le pacte, M. Anderson, en se suicidant, Lord Ewald, en commettant les deux à la fois. [...]
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