Le Vent –Claude Simon

Résumé du document

A la lecture du « Vent », de Claude Simon, c'est d'abord l'idée de chaos qui s'impose : on comprend mal les tenants et les aboutissants du livre, là où l'auteur souhaite en venir, ce qu'il fait ou cherche à faire. A ce constat s'en substitue vite un autre : ce magma foisonnant, duquel, comme des bulles bouillonnantes, jaillissent parenthèses, tirets, ramifications, présente une logique qui lui est si propre qu'on ne la décèle pas d'emblée. La conjonction des forces favorise l'émergence d'un nouvel ordre, dans lequel le lecteur ne pénètre qu'au prix d'un effort, d'une patience, et d'une acceptation de la nouveauté. Aux collages, ou montages, empruntés soit à la peinture, soit au cinéma, s'ajoute ainsi un art de la composition littéraire qui ne transige en rien avec la cohérence.

Extraits

[...] C'est donc un mécanisme mental qui est en fait décrit. Les personnages apparaissent ainsi, mais seulement en partie, parce qu'ils peuvent aussi lui échapper, grâce au pouvoir qu'exerce l'écriture sur l'auteur, comme les jouets d'un art poétique, mentionné dès les premières pages et sur lequel il faudra revenir : la réalité d'une histoire est faite d'un agrégat de perceptions imparfaites, refondues, par ceux qui la vivent. Ils n'accèdent donc pas à une réalité dite réelle mais artistique comme le suggérait Nabokov[2], à propos de Proust : nous montre telle personne à travers l'idée que d'autres personnages se font de ces personnages. [...]

[...] Or, il ne retrouve rien. B L'accumulation Cette désorientation est d'autant plus difficile que l'auteur ne laisse aucun répit à son lecteur. Il est déjà désorienté. Mais s'abat, en plus, sur lui une avalanche d'éléments auxquels il n'est pas habitué[36] et qui le suivent à la trace, pas à pas. Il ne peut pas reprendre son souffle. Ainsi, à cette longue phrase 43-44) : Il ne me dit pas comment il y était venu [ ] tout le monde dans ce moment est en train d'en faire autant (soit 44 lignes) suit un autre bloc massif (19 lignes). [...]

[...] Absence de transition mais non pas de logique. Absence de lien, mais non pas de macrocosme auquel se référer : la phrase. Car la parenthèse lui appartient inévitablement. Et, si ce qu'elle contient lui échappe sémantiquement, elle lui est liée syntaxiquement. Autrement dit : chaque collage peut bien se dérober à la compréhension, ils sont capturés par des microcosmes, de petites ouvrières parenthèse, tiret etc. qui travaillent pour leur ruche, pour la phrase. Encerclés, classifiés, ils pourront faire ensuite l'objet d'un décodage. [...]

[...] Le vent reste néanmoins une fiction. Il n'y a donc aucune prétention autobiographique et réaliste. Ce qui se crée, ou tente de se créer, selon le vœu de Simon, c'est de la fiction. Il n'y de fait, aucun référent. Ce monde ne se réfère toujours qu'à lui-même. C'est dans un théâtre mental lutte du Vent contre les personnages, de l'auteur contre l'écriture que tout se joue. Aux origines d'un ordre et d'une écriture Je procède par tâtonnements [ ] Je ne sais pas ce que je vais faire, contrairement à l'artisan, qui sait qu'il fera un soulier Le récit de Claude Simon s'engendre à partir de lui-même, c'est-à-dire que, s'enivrant de ses phrases, l'auteur finit par découvrir son projet[23] Le chaos Lorsqu'on lui demanda pourquoi ses récits étaient si compliqués, Simon affirma qu'il ne le faisait pas délibérément exprès, mais que tout était confus dans son esprit. [...]

[...] Ils donnent l'impression d'avoir tous été réalisés au même moment. Comment donner illusion, dans le domaine littéraire, que tout se mélange, s'offrant comme un tout ? C'est là que les superpositions, les projections dans l'avenir ou les retours en arrière, ainsi que le jeu répété de même scène, qui brouille les temps, interviennent Flash-back et projection Il me semblait donc le voir Et ainsi, au fur et à mesure que le notaire me parlait, je pouvais reconstituer ce qui s'était passé et tout à coup j'entendis de nouveau la voix du notaire comme le raconta plus tard l'huissier Plus tard, Montès me raconta Trois temps : le passé, le présent, le futur. [...]