De l'Antiquité à nos jours, les auteurs de comédie ont souvent porté à la scène le couple maître/valet. La confrontation de ces deux groupes sociaux se traduit en termes de rivalité, de complicité, mais toujours de rapport dialectique : cette opposition, féconde en effets comiques, permet non seulement l'exploitation de nombreux procédés dramatiques, mais souligne dans le même temps à quel point le théâtre est un reflet de la réalité sociale. Il la corrige même parfois en attribuant la première place aux valets : la tradition scénique leur fait jouer un rôle tellement essentiel qu'il leur arrive de donner leur nom aux pièces ou ils évoluent. Prenons-en pour preuve le Phormion de Térence au 1er siècle avant J.C, Les Fourberies de Scapin de Molière au XVIIe siècle, ou Le Mariage de Figaro de Beaumarchais au Siècle des lumières.
Nous analyserons le personnage du valet et son évolution dans ces trois pièces, dans un parcours qui nous mènera des farces du Latin Plaute aux comédies du XVIIIe siècle, en passant par la commedia dell'arte et le théâtre de Molière.
Ce rôle du valet ingénieux est essentiel dans le mécanisme de la comédie antique. Aujourd'hui, le théâtre de boulevard est encore proche de ce mode de fonctionnement. Mais surtout, l'évolution de la silhouette du valet, au théâtre, a accompagné l'évolution des structures sociales.
On étudiera successivement le rôle du valet de comédie dans la comédie latine (I), la Commedia dell'arte (II), chez Molière (III), ainsi qu'au XVIIIe siècle (IV).
[...] Les valets portent le nom générique de Zanni, déformation vénitienne du prénom Giovanni signifiant Jean. Peu scrupuleux, tisseurs d'intrigues, ils évoluent par paire et se répartissent comme suit leur tâche : un valet niais et voleur, souvent distrait et inquiétant met sa souplesse et son agilité au service d'entreprises parfois frauduleuses : c'est Arlequin. Un valet astucieux qui a pour nom Brighella, Pédrolino ou Scapino : plus rusé qu'Arlequin, il en est longtemps le simple comparse. Il devient ensuite, au cours de l'évolution de l'histoire du théâtre, un premier valet à part entière. [...]
[...] Dans sa famille, on trouve Scapin, Sganarelle, Mascarille et Figaro. III) Le valet chez Molière Molière, comme les Italiens s'inspirent fortement des Latins et les valets, très présents dans son théâtre manifestent cette filiation. Mais son œuvre rend compte de l'évolution des structures sociales. Il ne s'agit pas de ridiculiser une société patricienne, mais de porter à la scène de nouveaux rapports hiérarchiques : ceux de la future société bourgeoise. Martine dans Les Femmes savantes, ou Sganarelle dans Dom Juan, ne sont plus esclaves, mais domestiques, contestataires d'un ordre auquel ils peuvent prétendre un jour s'intégrer. [...]
[...] Du reste, Liban, qui se met au service d'Argyrippe, tirera parti de la situation pour s'amuser à ses dépens, en même temps qu'il rend service au maître, il prend plaisir à l'humilier. Figaro n'agira pas autrement quand sera rendue publique la légèreté du comte. Avant de céder à leur maître en mal d'argent une somme qu'ils ont malhonnêtement collectée, Liban et son partenaire Léonide (les clowns fonctionnent toujours par paire), s'amusent à blesser Argyrippe dans sa vanité et à lui montrer qu'il est en situation de dépendance. [...]
[...] Suzanne et Figaro s'inscriront dans ce même courant. Beaumarchais (1732-1799) Léonide était un esclave, Phormion un affranchi, Scapin un homme de main, proche de cette figure de parasite, Crispin et Arlequin des valets ; Figaro a un statut social qui le met au-dessus de ses prédécesseurs. Mi-concierge, mi-ambassadeur, il est néanmoins aux ordres d'un comte et l'insolence de ses actes n'a de saveur que parce qu'il est un subordonné. Laissez-nous caresser nos filles, allez vous en caresser les vôtres ! [...]
[...] Tel ou tel texte théâtral individualisera ce rôle codé pour en faire un personnage déterminé ; ainsi, nous avons étudié comment Molière individualise le valet de la comédie latine, pour en faire Scapin. De même, Marivaux individualise les rôles de la comédie italienne (Arlequin). Celui- ci peut changer de rôle avec son maître, mais Figaro a une individualité propre telle que personne ne peut, fût-ce un instant, tenir pour lui sa partie. À partir de l'avènement du drame bourgeois, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'accent est mis sur l'individualité inéchangeable du personnage. [...]
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