Étymologiquement, le terme grec « utopie » (avec u- pour « sans » et topos pour « lieu ») signifie « qui n'est d'aucun lieu » ou encore « lieu qui n'existe pas ». Il apparaît pour la première fois dans Utopia de Thomas More en 1516, dans le but de décrire une terre où serait réalisée une organisation exemplaire, voire parfaite de l'État, qui remplacerait la société européenne et plus précisément anglaise critiquée dans cet essai. Cioran, philosophe roumain du XXème siècle affirme que « la nouvelle terre qu'on nous annonce affecte de plus en plus la figure d'un nouvel enfer ». Nous pouvons nous demander comment comprendre cette affirmation, à l'aide d'oeuvres utopiques et contre-utopiques. Comment l'utopie peut-elle devenir un enfer ? Pour tenter d'analyser cette citation, nous allons d'abord en extraire le sens, puis étudier les caractéristiques et valeurs de l'utopie avant d'en déterminer les limites, mais aussi les dangers.
En préface de la contre-utopie Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley (1932), le philosophe Nicolas Berdiaeff s'exprime ainsi : « Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu'on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?... Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d'éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins « parfaite » et plus libre. ». Cette citation peut illustrer celle de Cioran, dans le sens où, par exemple, les technologies de plus en plus performantes peuvent progressivement rendre réalisables des « utopies » du siècle précédent. L'utilisation de ces techniques peut alors avoir des répercussions très positives sur la condition humaine, mais, appliquée à mauvais escient, elle peut aussi engendrer des incidences plus néfastes. (...)
[...] Néanmoins, son application peut engendrer des dérives importantes qui se manifestent par un contrôle étouffant de la pensée, de l'émotion, de l'individualité de chacun. Le désir extrême de perfection risque alors d'instaurer un climat totalitaire. Chaque individu possède sa propre conception du bonheur, de l'idéal. La notion d'utopie est donc propre à chaque être humain. De ce fait, on ne peut imposer un idéal à un groupe. L'Homme doit apprendre à accepter ses limites. Cependant, tant que l'utopie n'est pas réalisée, il n'y a aucun danger pour lui. [...]
[...] En effet, en opposition aux utopies, les dystopies, par la description d'une société imaginaire, proposent un monde terrifiant. Cioran tente donc de mettre en garde ses lecteurs contre une réalisation possible d'une nouvelle terre ainsi que de tous les dangers qu'elle entraînerait. L'utopie est par nature la représentation d'une société idéale, gouvernée par un régime politique démocratique et composée de citoyens parfaits. Ses valeurs principales visent à améliorer le monde dans lequel on vit. La nature a une place considérable dans le monde idéal. [...]
[...] La méthode appliquée par les dirigeants de la société futuriste du bonheur obligatoire s'apparente à un conditionnement, mais aussi une censure qui s'éloignent de la notion de bonheur. En effet, ce monde qui souhaite soi- disant le bien de chacun prend une allure terrifiante. La contre-utopie soulève donc les dangers du monde idéal. Le bonheur ne peut pas être imposé, sous peine de prendre une forme totalitaire. L'être humain n'a alors plus la capacité, ni même la possibilité de penser. L'utopie, à son origine, n'est pas dangereuse en soi. Elle aspire seulement à une société plus juste, plus libre, composée d'individus heureux. [...]
[...] L'utopie est aussi utilisée pour critiquer la société. Marivaux, dans L'Île des esclaves (1725) a un but bien précis. Il dénonce les inégalités entre les individus, et plus précisément le rapport maître-valet. Le choix de l'île comme lieu utopique n'est pas anodin : par son accès difficile, il possède un caractère protecteur, sécurisant. Cependant, à la différence d'une utopie traditionnelle qui aurait aboli la servitude, celle-ci utilise l'inversion. Ce n'est donc pas la description d'un monde idéal mais plutôt l'expérimentation d'un autre mode de domination : les valets auront l'occasion de contrôler leurs maîtres pendant trois ans. [...]
[...] De son invention jusqu'à nos jours, l'utopie n'aura cessé d'évoluer, avec l'unique but de faire le bonheur de l'Homme dans une société toujours plus juste. Cependant, au XXème siècle apparaît la contre-utopie avec Le meilleur des mondes, d'Aldous Huxley (1932), roman d'anticipation où la population est divisée en castes (des Alphas Plus aux Epsilons Moins) en fonction de leurs compétences physiques, mais aussi intellectuelles . Chacun est fier du groupe auquel il appartient ; tout le monde semble heureux. Néanmoins, la manipulation génétique des embryons, ainsi que le conditionnement de la pensée avec les bandes sonores qui défilent la nuit révèlent un contrôle sévère de la population : la liberté est feinte. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture