En 1642, le dramaturge Pierre Corneille met sur la scène du théâtre du Marais, sa dernière création, Polyeucte. Cette tragédie remporte un succès sans précédent car elle incarne une dimension nouvelle dans l'écriture dramatique. En effet, Corneille choisit un sujet assez simple (celui d'un martyr chrétien ayant vécu au 1er siècle ap J-C) mais qu'il agrémente de nombreuses inventions qui satisfont le public de son temps. Plus tard, en 1660, il publie Théâtre de Corneille revu et corrigé par l'auteur en trois volumes, dont chaque volume est précédé d'un discours et des examens des pièces contenues dans le volume. Ces «discours » sont une réflexion sur l'écriture dramatique en général et sur les moyens qui, selon lui, permettent d'atteindre la perfection. Il y remet en cause plusieurs notions telles que la catharsis et pose sa réflexion, plus précisément, sur l'utilité ou plutôt «les utilités » de la tragédie. Il en dénombre quatre. La nouveauté réside dans le fait qu'il considère l'agréable comme la première utilité de la tragédie.
Notre étude portera sur ces notions d'utile et d'agréable appliquées à Polyeucte. Nous aborderons cette question selon trois perspectives : nous verrons tout d'abord que Polyeucte représente la tragédie parfaite car elle répond aux attentes d'un public du XVIIème siècle, par les nombreux agréments que Corneille ajoute afin de donner à cette histoire une dimension plus esthétique. Toutefois, nous remarquerons que cette œuvre doit être replacée dans son contexte et que, ainsi, les intentions de l'auteur dépassent le cadre du simple plaisir esthétique. Il est clair que Corneille adresse un message à son public. Enfin nous nous demanderons s'il faut, malgré tout, voir une volonté cathartique dans cette œuvre.
[...] Sans parler de catharsis, au sens aristotélicien du terme, on constate que Corneille tente non pas, de purger de mauvaises passions, mais de convaincre son public. La tragédie de Polyeucte est un vecteur des idées de l'auteur. En conclusion, nous avons vu que l'agréable constituait pour Corneille, la première des utilités et que Polyeucte répondait parfaitement à cette idée puisque tous les ingrédients recommandés par le dramaturge pour constituer une belle tragédie (belle dans une acception pleinement esthétique) y sont présents : ce sont les inventions et embellissements de théâtre, le caractère extraordinaire de l'action et le vraisemblable. [...]
[...] Ces actions imparfaites sont autant de questions importantes que se pose le spectateur à la fin de leur réalisation. L'agréable suspension réside dans l'insatisfaction de ne pouvoir y répondre et donc de toujours avoir envie de connaître la suite. C'est en effet le cas dans Polyeucte puisque les quatre premiers actes laissent le spectateur dans le doute. Mais ce n'est pas suffisant pour parvenir à la vraisemblance. Pour obtenir le crédit du spectateur, il faut aussi être proche de l'Histoire sans y accorder toutefois une importance trop grande. [...]
[...] Le militantisme chrétien est laissé de côté et les metteurs en scène d'aujourd'hui focalisent plutôt sur la brûlure des passions et l'ardeur des convictions des personnages. On est donc revenu à la représentation de la tragédie dans une perspective esthétique mais on est également passé à une dimension plus psychologique, dans la veine des tragédies du 20ème siècle. Ce qui était un plaidoyer en faveur du christianisme perd de sa compassion tragique au profit d'autres messages. Mais cela ne doit-il pas être laissé à la libre interprétation du metteur en scène ? [...]
[...] Nous pouvons dire que ces trois éléments, nécessaires d'après l'auteur à la réalisation d'une belle tragédie, servent pour le dramaturge à plaire à son public. Il semble que, pour Corneille, la visée première de la tragédie soit de donner des émotions à l'auditoire et gagner son approbation dans un plaisir qui relève de l'esthétisme pur. Toutefois, dans le cas de Polyeucte, Corneille ne se limite pas à cela. Grâce à l'agréable, le dramaturge tente de convaincre son public. C'est l'idée que nous allons développer par la suite. Il est vrai que Polyeucte est une œuvre assez singulière et atypique. [...]
[...] Selon lui, la seule véritable émotion tragique est la pitié. Il la met en valeur dans le Second Discours 103) : Etablissons pour maxime que la perfection de la tragédie consiste bien à exciter de la pitié et de la crainte par le moyen d'un Premier Acteur [ ] mais que cela n'est pas d'une nécessité si absolue [ ] et même ne porter l'Auditeur qu'à l'un des deux, comme dans Polyeucte, dont la représentation n'imprime que de la pitié sans aucune crainte Dans Polyeucte, la crainte n'est effectivement jamais suscitée alors que la pitié l'est de manière constante. [...]
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