L'Art Poétique de Nicolas Boileau est l'ouvrage par lequel se théorise le classicisme français du 17ème siècle. Cet ouvrage se constitue de quatre chants, le premier et le quatrième sont consacrés à des considérations d'ordre générales, tandis que les chants II et III s'intéressent à des études plus particulières, le chant II se penchant sur les formes littéraires mineures, et le chant III sur les grands genres littéraires. Dans l'extrait qui nous intéresse (v.160-192 du chant III), Boileau, après avoir commenté la tragédie, se prononcera sur le genre de l'épopée, que l'on considérait au 17ème siècle comme le genre le plus noble de la littérature. La hiérarchie des genres littéraires que nous propose Boileau est, donc, conforme à l'idée que l'on s'en faisait à son époque du moins dans le parti des Anciens. L'on sait, en effet, que la remise en cause de cette hiérarchie par le parti des Modernes, est l'un des points qui fonde l'opposition des deux camps.
[...] Ainsi, entre les vers 167 et 172, la structure syntaxique Ce n'est plus . c'est utilisée pour illustrer les métamorphoses que subissent les phénomènes physiques lors de leur traduction dans une langue épique, est répétée à trois reprises avec quelques légères variations. Mais la régularité des différents rythmes des vers 167 à 172 en 3,3,3,3 et contribue aussi à cette impression d'une sorte de pulsation dans le poème. De la même manière, une seule phrase s'étend sur sept vers entre les vers 181 et 188, et sur les six premiers vers on a trois propositions subordonnées, la proposition principale survenant au septième vers avec une déferlante de verbes juxtaposés. [...]
[...] En effet, le premier enjambement apparaît aux vers 160-162, où la phrase se poursuit sur trois vers. Puis, dans la suite du texte, on a une suite de propositions indépendantes qui se tiennent chacune sur un vers, jusqu'au vers 173 : Ainsi dans cet amas de nobles fictions, Le Poëte s'égaye en mille inventions, Orne, élèvent, embellit, aggrandit toutes choses Puis, par la suite, au moment de la réécriture de l'épopée virgilienne, on a une multiplication flagrante des enjambements qui contribue encore à renforcer cette impression d'une exaltation et d'amplification du texte dont nous parlions précédemment. [...]
[...] En cela, la poésie épique proposerait du monde une vision mythique et totalisante. Conception mythique du monde qui permet d'intégrer tous ses éléments dans une totalité ordonnée : D'un air plus grand encor la Poësie Epique, Dans le vaste récit d'une longue action, Se soutient par la Fable et vit de fiction. Là pour nous enchanter tout est mis en usage. Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage. Dans ces vers, l'insistance sur la grandeur de l'épopée, que nous avons déjà commentée plus haut en tant que marqueur de la hiérarchie des genres littéraires, peut prendre un tout autre sens sous l'éclairage d'une conception de l'épopée comme harmonisation des éléments disparates du monde dans une totalité mythique. [...]
[...] Ainsi, c'est aussi bien d'un point de vue rythmique que sémantique que le texte produit cet effet d'animation. De cette manière, Boileau suggère cet argument paradoxal que la puissance poétique se rapportant à la poésie épique est une puissance de vie, les modèles anciens, loin d'être du côté de la mort, étant les plus aptes à exprimer la vitalité de l'écriture poétique. Ainsi, le caractère argumentatif du texte et son inscription dans le contexte de la querelle des Anciens et des Modernes se manifestent, d'une part, par l'importance que prennent au sein de l'extrait les références à l'Antiquité ; par les arguments qui sont avancés en faveur de la conservation des modèles antiques ; par la revendication de l'imitation en tant que source d'inspiration non- antinomique avec une certaine créativité de l'auteur et par la revendication de la fiction contre l'ennui du merveilleux chrétien. [...]
[...] Celle-ci s'exprime à travers la progression du texte. En effet, dans le premier mouvement de l'extrait (v.160-172), la majorité des verbes sont des verbes d'état : Chaque Vertu devient une Divinité. Minerve est la Prudence et Venus la Beauté Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre; C'est Jupiter armé pour effrayer la Terre. Un orage terrible aux yeux des matelots, C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots. Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse: C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse. [...]
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