Après le demi-échec de la tragédie biblique Judith, Giraudoux a si l'on peut dire quelques comptes à régler avec la tragédie. La reprise du mythe antique se manifeste d'abord avec Amphitryon 38, une comédie selon l'auteur, une fantaisie poétique inspirée de Molière qui lui-même s'inspira de Plaute, et qui rencontre un vif succès. Giraudoux va alors s'atteler à deux projets ambitieux : un « prélude des préludes » à l'Iliade, que sera La Guerre de Troie n'aura pas lieu, et une version personnelle de la fin des Atrides avec Electre. Il est à noter que Giraudoux les sous-titrera pudiquement « pièces », voulant peut-être éviter les écueils rencontrés par sa seule « tragédie », Judith. Il précisera néanmoins en parlant de La Guerre de Troie n'aura pas lieu : « C'est une tragédie que j'ai voulu écrire. Une tragédie, bien entendu, à ma manière, mais une tragédie, c'est-à-dire un ouvrage dominé par une fatalité ».
[...] Son amitié profonde avec Louis Jouvet et l' attelage dramatique qu'ils forment, comme ils aimaient à nommer leur collaboration, lui rappellent constamment la finalité de ses œuvres : être jouées. A titre d'exemple, s'il est vrai qu'il n'attribue pas nécessairement les répliques écrites à un personnage, il lui arrive en revanche d'écrire pour un acteur. Le personnage s'inspire alors de l'interprète et non plus l'inverse. On se souviendra du mendiant d'Electre, gouailleur, tellement parfait comme mendiant qu'il pourrait bien être un Dieu, invraisemblable, qu'il construisit avec en tête l'image de son ami Jouvet. [...]
[...] Jean-Michel Maulpoix mentionnait ensuite les formes du conflit prenant le pas dans les pièces de Giraudoux sur le conflit lui-même. Et l'amertume de l'écrivain dans les années 30 justifie voire amène ce passage de la tragédie au tragique. C'est ce que nous avions brièvement mentionné tout à l'heure, l'absence de noblesse au sens antique du terme. Giraudoux prive ses personnages de toutes les justifications héritées des Anciens : Pâris et Hélène ne s'aiment plus, ne se sont peut-être jamais aimés. [...]
[...] L'anachronisme giralducien Il se situe d'abord au niveau de l'actualité, surtout en ce qui concerne La Guerre de Troie n'aura pas lieu. Il ne faut pas oublier que Giraudoux d'une part avait combattu et été blessé durant la première guerre mondiale, et d'autre part qu'il était diplomate. Bien qu'il se défende d'avoir fait de La Guerre de Troie n'aura pas lieu une pièce d'actualité, le langage diplomatique, inexistant à l'époque, la scène 5 de l'acte 2 avec le personnage de Busiris où ses contemporains ont clairement identifié un acteur politique de l'époque, ou d'autres allusions sportives ou commerciales démentent le démenti. [...]
[...] Le lamento du jardinier traitera avec beaucoup de douceur et une naïveté empreinte de tristesse de ce vide céleste. Enfin le décalage est notable dans ce que Jouvet nommait la familiarité lyrique de Giraudoux. En deçà de l'emploi d'un vocabulaire technique anachronique, l'expression même de Giraudoux est à l'image de l'homme et de son siècle, et parle au lecteur-spectateur mieux peut-être que les alexandrins raciniens. La langue de Giraudoux est une prose colorée où, entre deux tirades rythmées et poétiques vient nous surprendre une exclamation argotique, populaire, ou une syntaxe défaillante, c'est-à-dire humaine, naturelle et accessible. [...]
[...] Ces ajustements et ces scènes sont développés dans La Théâtre de Giraudoux de Jacques Robichez. Un autre exemple de la réalité théâtrale s'insérant à la création : le fait de faire grandir dans Electre les petites Euménides dans le laps de temps de la pièce. En effet Giraudoux tenait à conserver cette image du destin enfant tout en sachant qu'il était interdit de faire veiller les petites filles plusieurs soirs de suite, d'où l'idée de les remplacer au bout de quelques minutes par des adolescentes, puis des adultes. [...]
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