Le passage cité est un extrait de l'introduction à Éros et pouvoir de John E. Jackson. Essayons tout d'abord de le remettre dans son contexte.
Dans l'introduction du livre, l'auteur expose les points principaux sur lesquels s'articule son analyse des deux instances citées.
Il considère que deux voies s'ouvrent pour l'interprétation des rapporta entre éros et pouvoir: d'un côté il peut s'agir d'un indice d'antagonisme et d'incompatibilité, où l'un exclut l'autre. De l'autre côté, le conflit peut être révélateur d'une « trop grande proximité » des deux, voire de leur « tendance à se confondre » .
Une autre question fondamentale est celle de l'historicité de l'oeuvre : la représentation du rapport entre éros et pouvoir serait-elle liée au contexte historique contemporain de l'auteur ? Jackson remarque à ce propos que, malgré la distance temporelle et les différences sociales, il y a plus de similitude entre Antoine et Cléopâtre de Shakespeare (1606) et La Mort de Danton de Büchner (1853) plutôt qu'entre la pièce de Shakespeare et Médée de Corneille (1634). Dans les oeuvres citées de Shakespeare et Büchner on trouve une représentation dichotomique des rapports entre éros et pouvoir, alors que Médée, tout comme Britannicus de Racine (1669) attestent une forte liaison (presque une identité) entre les deux instances.
Dans un troisième temps, Jackson illustre son choix d'analyser des pièces théâtrales plutôt que des oeuvres d'autres genres littéraires. C'est à ce point que se situe le passage qui nous intéresse.
[...] Étant le domaine des liens de pouvoir assez vaste et les exemples nombreux, il nous paraît nécessaire de s'arrêter brièvement pour une conclusion partielle.
La notion de pouvoir dans ces pièces peut avoir des valeurs différentes. Il s'agit le plus souvent de pouvoir politique, qui peut être lié ou moins à des liens de parenté qui en accroissent la force. Les personnages abusent parfois de ce pouvoir pour manipuler les autres, un cas très fréquent est la tentative d'imposer un partenaire qui n'est pas désiré, que ce soit soi-même ou un autre, considéré approprié. Dans ces cas, ce sont toujours des femmes qui font les frais de ces actions. Il est intéressant de remarquer que, toutefois, ces interventions n'aboutissent pas au bonheur de celui qui abuse de son pouvoir. Arnolphe n'épouse pas Agnès, Mariane n'épouse pas Tartuffe et Néron non plus ne vit pas heureux avec Junie. Dans ces cas, on constate que le pouvoir n'arrive pas à s'imposer sur l'amour, sûrement pas à rendre heureux celui qui détient le pouvoir. (...)
[...] ANTIOCHUS De vous déclarer Qu'à jamais l'un de l'autre il faut vous séparer. (vv.893-894) On constate que les passages où l'on traite exclusivement et ouvertement du sentiment amoureux sont moins fréquents. Pouvoir et éros, entre antagonisme et proximité Comme on l'a déjà vu, il est parfois difficile de séparer les liens de pouvoir et ceux d'éros. Ici de suite on présentera des exemples où leur antagonisme ou leur proximité sont assez claires. Dans Bérénice de Racine, Titus doit choisir entre son statut d'empereur de Rome et son bonheur amoureux, puisque les romains ne veulent pas qu'il épouse Bérénice, une reine étrangère. [...]
[...] Burrhus, son gouverneur, exprime son étonnement face à cet ordre, mais Néron ne tolère pas qu'on le contredise et il le menace de s'en prendre aussi à lui. NÉRON Qu'on sache si ma mère est encore en ces lieux. Burrhus, dans ce palais je veux qu'on la retienne, Et qu'au lieu de sa garde, on lui donne la mienne. BURRHUS. Quoi, Seigneur ? Sans l'ouïr ? Une mère ? NÉRON. [...]
[...] Néron exige d'écouter, en cachette, le dialogue entre Junie et Britannicus pour assumer un contrôle total sur la fille : sur ses paroles, ses gestes, ses regards et mêmes ses soupirs. Caché près de ces lieux je vous verrai, Madame: 680 Renfermez votre amour dans le fond de votre âme. Vous n'aurez point pour moi de langages secrets. J'entendrai des regards que vous croirez muets Et sa perte sera l'infaillible salaire D'un geste, ou d'un soupir échappé pour lui plaire. [...]
[...] C'est où je mets aussi ma gloire la plus haute. (vv.436-437) Nous avons maintenant parlé de personnages qui acceptent le pouvoir d'une autre personne sur eux, mais il y a encore un autre cadre de figure : on peut aussi céder au octroyer le pouvoir à un autre. Cléopâtre célèbre le mariage entre Rodogune et Antiochus et fait semblant de leur céder son pouvoir devant la population. On remarque ici l'emploi des verbes défectifs voici voilà et d'autres verbes au présent avec valeur performatif : en disant je cesse de régner Cléopâtre cède son pouvoir : Peuple qui m'écoutez, Parthes et Syriens, Sujets du roi son frère, ou qui fûtes les miens Voici de mes deux fils celui qu'un droit d'aînesse Élève dans le trône, et donne à la princesse. [...]
[...] Il est supérieur à Agnès par son niveau social, économique, culturel et il est aussi beaucoup plus âgé. Lui aussi tout comme Néron avec Junie - exige d'assister en cachette au dialogue au cours duquel la fille doit quitter son amant. Voici comment il communique à Agnès sa décision : À choisir un mari vous êtes un peu prompte. C'est un autre, en un mot, que je vous tiens tout prêt Et quant au monsieur, là. Je prétends, s'il vous plaît, Dût le mettre au tombeau le mal dont il vous berce, Qu'avec lui désormais vous rompiez tout commerce ; Que, venant au logis, pour votre compliment Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement ; 635 Et lui jetant, s'il heurte, un grès par la fenêtre, L'obligiez tout de bon à ne plus y paraître. [...]
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