L'immense majorité des souvenirs de théâtre de chacun tend à confirmer la certitude que sur scène sont presque toujours montrer des querelles, émouvantes ou ridicules, des conflits aux conséquences variables. Élèves, nous avons beaucoup ri des bastonnades que les acteurs feignent de s'infliger, des cris de colère et parfois même de fureur des protagonistes des farces et des comédies. Puis, plus tard, nous n'avons pas manqué dans les comédies les disputes entre parents et enfants ni les scènes de jalousie des maris soupçonneux, tandis que nous découvrions la cruauté se déchaînant dans les tragédies. Dans tous ces souvenirs, et aux deux extrêmes du comique et du tragique, Géronte (Les Fourberies de Scapin) enfoui dans un sac et roué de coups sous les rires de la salle, et Agamemnon égorgé à son retour de la guerre de Troie sous les yeux de son épouse Clytemnestre.
La violence, omniprésente au théâtre, peut terrifier, faire réfléchir ou tout simplement amuser. Il est donc utile de s'interroger sur les ressources spécifiques dont le théâtre dispose pour représenter un conflit, en examinant à la fois le texte écrit et les constituants de la représentation. On peut voir comment la construction d'une intrigue est un premier moyen de représenter le conflit, puis se pencher plus attentivement sur le texte et voir ce que le style et la rhétorique mettent à la disposition d'un auteur pour évoquer l'affrontement, et enfin s'interroger sur la mise en scène et la représentation concrète de celui-ci.
Une pièce de théâtre, si l'on excepte des productions assez nombreuses du XXème siècle, se construit autour d'une intrigue, c'est-à-dire d'un agencement d'événements et d'actions résultant des projets contradictoires des personnages. Le déroulement de l'intrigue révèle leurs conflits.
La comédie de Molière montre fréquemment le désaccord familial qui éclate dans le projet de mariage. Le père, toujours dominé par une passion, ridiculisé par une monomanie qui l'éloigne d'une conduite raisonnable, souhaite marier sa fille à un homme convenant à ses goûts tandis que cette dernière rêve d'un mariage d'amour avec celui que son coeur a choisi. Dans Tartuffe ou l'Imposteur, Orgon destine sa fille Mariane au faux-dévot éponyme, tandis que celle-ci veut épouser Valère. Le conflit éclate au début de l'acte II, quand Orgon s'ouvre de ses intentions à sa fille. Dorine, servante au grand coeur et insolente, prend le parti de Mariane et de Valère, Elmire et Cléante, l'épouse et le beau-frère d'Orgon, les rejoignent tandis que Damis, frère de Mariane, tout en étant dans leur camp, choisit d'affronter trop tôt Tartuffe et se retrouve chassé de la maison (acte III, scène 6) (...)
[...] Le spectateur s'est passionné pour la lutte des deux camps, il en exige une issue plaisante et conforme à ses valeurs. La tragédie, quant à elle, peut montrer une issue pathétique au conflit, comme la mort d'un des adversaires. Dans Andromaque, Pyrrhus périt par le glaive des Grecs au moment où il allait faire d'Andromaque, sa captive troyenne, son épouse et la reine d'Épire. Ainsi éclate le conflit politique entre les anciens alliés, ainsi s'exprime aussi le désir cruel d'Hermione qui, de dépit, avait demandé à Oreste de mettre à mort Pyrrhus. [...]
[...] Démasqué, Tartuffe passe à l'action désormais pour ruiner celui qui fut son protecteur et manque d'y parvenir. Le conflit familial a donc constamment pour sujet le mariage des enfants, mais révèle celui qui éclate entre le bon sens et la folie, celle du personnage principal et forcément comique. Il se poursuit quand chacun choisit son camp et génère des péripéties. Le matériau de l'intrigue est bien le développement, l'amplification puis la résolution du conflit qui a toujours lieu au moment du dénouement. [...]
[...] La réaction qu'il provoque chez Hoederer éloigne le conflit physique et le meurtre, c'est alors un affrontement verbal où Hugo, l'homme armé, est dominé, se montre embarrassé par les questions et les réflexions de son interlocuteur. Au fond, le geste et la parole sont en lutte dans cet extrait, et c'est la parole raisonnante qui gagne face à un mouvement ébauché (celui de sortir une arme et de tirer) dicté par l'aveugle obéissance au Parti, lutte symbolique entre la raison et le conditionnement idéologique. [...]
[...] Mais il dispose toujours de sa voix, de sa présence sur scène pour jouer l'insolence, la colère, le défi ou la haine. Ainsi, la comédienne qui incarne Dorine dans Tartuffe doit-elle parler haut et tenir tête à Orgon, au point de le faire trépigner et de faire rire le spectateur par son obstination moqueuse. Dans Le retour au désert (1988), de Bernard-Marie Koltès (1948-1981), l'un des dramaturges contemporains les plus joués au monde, les deux acteurs jouant Mathilde et Adrien, le frère et la sœur qui se disputent à propos de la maison familiale, doivent faire sentir que la haine déborde en quelque sorte d'eux-mêmes, comme attirés par le besoin d'en découdre, de purger le ressentiment et le mépris accumulés depuis leur jeunesse. [...]
[...] La comédie classique propose une intrigue qui se nourrit constamment d'un conflit initial autour de l'amour et du mariage, conflit qui s'enrichit d'un affrontement d'ordre psychologique et social. Les tragédies du XVIIème siècle sont savamment construites autour d'un conflit dont l'enjeu est l'exercice ou la conquête du pouvoir. Chez Racine, ce dernier est au centre de l'affrontement des protagonistes. Ainsi l'absence du roi, dans Phèdre ou dans Bajazet, ouvre un conflit autour de sa succession éventuelle et précipite l'expression des passions. [...]
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