« Le théâtre n'est fait que pour être vu » ; voilà comment Molière lui-même tranchait la question que notre sujet tend à poser. Difficile ici de ne pas faire le rapport avec le constat antithétique que dresse Montherlant dans sa préface, tant la tournure est proche et le sens à l'antipode : « Le théâtre est fait pour être lu, non pour être vu ». Comment expliquer alors une telle évolution dans le rapport des deux dramaturges au genre théâtral ? Entre le 17e siècle de l'auteur des « précieuses ridicules » et le 20e, où écrit Montherlant, c'est assurément tout un monde qui diffère. Sur le plan politique d'abord - les pressions imposées à la création artistique n'ont rien de comparable - mais aussi sur un plan esthétique, et peut-être encore plus sur celui de la diversité du lectorat potentiel et sur la fragmentation des courants de pensée. Le théâtre populaire, engagé, absurde, le Nouveau Théâtre, le théâtre expressionniste, ce sont là autant d'approches différentes du genre contemporaine de Montherlant ; on comprend mieux dès lors qu'un tel jugement, comme d'ailleurs celui de Molière, tienne plus du rapport qu'entretient l'auteur avec son époque que d'un jugement absolu et transgressif.
[...] Jacques le fataliste de DIDEROT n'est qu'un exemple parmi tant d'autres d'œuvres littéraires fortement influencées par la tournure et le comique théâtral. Ce dernier genre et le roman se sont, au fur et à mesure de l'histoire et des chevauchements d'auteurs, largement et mutuellement nourris. C'est pourtant bien sur scène que le théâtre acquiert ses lettres de noblesse, sa singularité artistique qui fait de lui un art si riche, presque éphémère et irréel, d'autant plus grand qu'il disparaît à la fin de la représentation. [...]
[...] Il n'y a pas que la parole. Et à vrai dire le langage lui-même ici acquiert peut-être plus qu'ailleurs son rôle d'élément théâtral. Caractérisé par l'inconsistance fondamentale de tout signifié le théâtre absurde tend à mettre en exergue l'inertie provoquée par l'ignorance, le poids de la fatuité, la crise existentielle qu'entraîne le sentiment de perte au sein de sa propre identité. Nous penchant sur cette définition nous pourrions penser qu'une pièce comme l'Œdipe de Sophocle correspond à ce propos, le protagoniste y apparaît vivre une crise existentielle, être guidé par son ignorance . [...]
[...] Bien autre chose aussi qu'un texte psychologique, que l'intrigue d'un individu dans une société donnée avec des desseins précis. La hantise du mot clair et qui dit tout aboutit au dessèchement des mots C'est enfin une pensée presque similaire à l'idée du théâtre grec, dans le sens où l'auteur voit la finalité du théâtre comme véritable outil du sauvetage des peuples, faite encore pour crever collectivement des abcès ; on est très proche du concept de katharsis. Si cette vision peut paraître lointaine, voire utopique, elle a cependant le mérite à nos yeux d'avoir le goût de l'absolu : le théâtre semblant parfois bien assujettit à nombre de conventions. [...]
[...] Au début de la ville [ . ] Souplier laisse tomber des billes de sa poche dans le bureau de l'abbé, le personnage, peu connu encore, apparaît alors déjà comme distrait, peu consciencieux. Identiquement Souplier lors du premier rendez-vous joue avec les affaires de l'abbé sur son bureau, l'abbé en fera de même à la fin face au supérieur. Les deux personnages apparaissent liés. Tout cela est même écrit en didascalie par l'auteur, ce qui prouve qu'au-delà du débat le texte et la représentation sont interdépendants. [...]
[...] Cela passe par le registre comique, et l'atonie inhérente à ce genre de pièce renvoie tout de même un goût particulièrement tragique. Identiquement dans les dialogues parfaitement vains d'estragon et Vladimir, tout autant que dans leur candeur naïve à vouloir sans arrêt varier les occupations dérisoires, à penser même au suicide sans que jamais l'idée de gravité, de responsabilité de sa propre vie ne traverse leurs esprits, à travers tout cela transparaît l'incohérence humaine, la légèreté, l'insouciance coupable. Nous pourrions éterniser les qualificatifs et c'est bien là le mérite de ce théâtre, l'absence apparente de thèse, et le fait que celle-ci tienne à un simple effleurement par l'absurde de vérités interprétables de plusieurs manières, permet au spectateur de vraiment être acteur, de participer au processus de création, de s'identifier à la non- intrigue et d'y adjoindre enfin ses propres doutes. [...]
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