Farouche défenseur du Théâtre de Clara Gazul, Jean-Jacques Ampère déclare au sujet du théâtre de Mérimée : « Pour la première fois, j'ai vu les hommes de notre temps parler comme ils parlent et agir comme ils agissent. » Ce faisant il souligne un certain réalisme de ce théâtre, allant même jusqu'à le qualifier de théâtre du « naturel et de la vérité ». Poursuivant la voie ouverte par Stendhal et son Racine et Shakespeare, Mérimée s'attache en effet au « petit fait vrai » préconisé par la doctrine naissante du Romantisme. Dans la préface de notre édition, Patrick Berthier témoigne également de ce sentiment de « naturel » et de « vérité » procuré par la lecture de l'œuvre. Il s'interroge alors sur la nature de cette sensation de vérité. Si l'on se réfère au propos de Jean-Jacques Ampère, on constate qu'il invoque le discours, la parole des personnages comme porteur du réalisme tout autant que leurs actes. Mais dans Prosper Mérimée, Le Sang et la chair, Christian Chelebourg propose sa propre théorie : à deux vérités avancées, l'une des mots et l'autre du corps, il faudra privilégier la seconde. « Ainsi, dit-il, le discours se trouve-t-il disqualifié comme moyen d'expression des émotions vraies ; frappé au sceau de la littérature, il fait planer sur son référent le soupçon de feinte [...] La vérité du corps surpasse celle des mots, car ceux-ci peuvent toujours être suspects de mentir. ». Pour Christian Chelebourg, la littérarité du discours le rend suspect, on peut facilement mentir avec les mots, tandis que le corps se donne comme une matérialité concrète et avec laquelle on ne peut pas tricher. Le discours, dans Le Théâtre de Clara Gazul, laisserait toujours planer un doute sur les propos tenus tandis que le corps serait le garant d'une émotion vraie. Comme il s'agit de théâtre, le discours concernera essentiellement les personnages qui en sont les principaux émetteurs, et la notion de corps engagera forcément l'idée du comédien qui, sur scène, donne vie au personnage. Mais, et cela peut sembler paradoxal, le théâtre de Mérimée est résolument destiné à être lu et le discours, avant d'émaner directement des personnages, passe par plusieurs médias : l'auteur délègue en effet son pouvoir à Clara Gazul, comédienne fictive, qui est présentée par un traducteur également fictif comme l'auteur des pièces. Peut-on donc parvenir à la vérité de l'émotion compte tenu de la mystification initiale propre à toute oeuvre littéraire ? Quel genre d'émotion vraie peut passer par le corps dans un théâtre qui ne sera pas mis en scène ? De quels procédés use Mérimée pour parvenir à cette émotion vraie et sincère qui se dégage du texte ?
[...] Le fait d'annoncer une mort est bien moins parlant que de la voir sur scène. Mérimée sacrifie la bienséance à l'émotion, à la violence des passions. On nous indique dans les didascalies ce qui ne parait pas dans le discours des personnages et ce qui peut paraître à la scène. Et même dans l'optique d'un théâtre qui ne sera jamais joué, la place du corps est laissée à l'imagination, et fait naître ainsi une émotion sincère, car elle est finalement laissée au lecteur. [...]
[...] Pour Stendhal l'intérêt du théâtre doit plus résider dans la recherche de ces petits moments d'illusion parfaite que dans les beaux vers Une des choses qui s'opposent le plus à la naissance de ces moments d'illusion, dit-il, c'est l'admiration, quelque juste qu'elle soit d'ailleurs, pour les beaux vers d'une tragédie. Ainsi, Stendhal nous engage à oublier les mots au théâtre pour nous pencher sur l'action -dont le corps est l'instrument-. Mérimée adhère à cette manière de voir dans ses quatre articles sur le théâtre espagnol parus dans Le Globe. Il y parle de l'acteur Mayquez dont le jeu se veut naturel. Ce sont les actes des personnages plus que leurs mots qui révèleront la vraie émotion. [...]
[...] Il y a une sorte de fatalité du regard également, dans l'œuvre. Le regard peut condamner un personnage. Ainsi, Don Antonio l'a été quand la femme entrevue l'a regardé, et pendant l'interrogatoire de Mariquita, il ferme donc les yeux. Il semble avoir la supériorité dans les mots et une supériorité hiérarchique, mais elle le domine physiquement, car il ne peut pas la regarder. La perspective du corps nous oblige à l'envisager dans celle du théâtre, même ce dernier se destine à être lu. [...]
[...] ] que l'action représentée dans une tragédie ne dure pas plus de vingt-quatre heures et que la scène ne change pas ? / L'ACADEMICIEN : Parce qu'il n'est pas vraisemblable qu'une action représentée en deux heures de temps comprenne la durée d'une semaine ou d'un mois, ni que, dans l'espace de peu de moments, les acteurs aillent de Venise en Chypre [ . / LE ROMANTIQUE : Non seulement cela est invraisemblable; mais il est impossible également que l'action comprenne vingt-quatre heures [ . [...]
[...] Le discours, dans Le Théâtre de Clara Gazul, laisserait toujours planer un doute sur les propos tenus tandis que le corps serait le garant d'une émotion vraie. Comme il s'agit de théâtre, le discours concernera essentiellement les personnages qui en sont les principaux émetteurs, et la notion de corps engagera forcément l'idée du comédien qui, sur scène, donne vie au personnage. Mais, et cela peut sembler paradoxal, le théâtre de Mérimée est résolument destiné à être lu et le discours, avant d'émaner directement des personnages, passe par plusieurs médias : l'auteur délègue en effet son pouvoir à Clara Gazul, comédienne fictive, qui est présentée par un traducteur également fictif comme l'auteur des pièces. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture