C'est en 1948, sous la plume de Jean-Paul Sartre, dans Qu'est-ce que la littérature ?, qu'apparaît pour la première fois la notion d'« écrivain engagé ». Pourtant, depuis l'Antiquité l'histoire littéraire a toujours compté de ces écrivains qui, à travers leurs écrits, aspirent à agir sur la conscience de leur époque, et par là même sur le cours de l'Histoire.
De Montaigne à Hugo, de Voltaire à Camus, l'argumentation met en œuvre dans ce but, selon les auteurs et les époques, des structures extrêmement riches et variées. On peut donc se demander si les textes littéraires et les formes d'argumentation souvent complexes qu'ils proposent constituent un moyen efficace de convaincre et de persuader ; c'est-à-dire si la littérature est une arme réellement efficace pour amener, que ce soit par sa raison ou sa sensibilité, le lecteur, et à travers lui l'homme, le citoyen, à réfléchir, quelles en sont les limites, et si celles-ci ne résident pas simplement dans la complexité même des formes choisies.
[...] D'autre part, des manifestes, comme ceux du surréalisme par André Breton, ou du romantisme par Hugo dans la préface de Cromwell, à visée clairement argumentative puisque défendant les valeurs d'un mouvement nouveau et appelé à supplanter les archétypes jugés archaïques, qui se fondent également sur des théories très élaborées et souvent difficiles d'accès, passent par des formes d'argumentation appelant à la réflexion et au sens critique du lecteur ; force est de constater que, là encore, leur efficacité n'est pas à démentir : ces manifestes ont effectivement donné naissance à des mouvements littéraires pérennes et prolifiques. On voit donc ainsi que l'efficacité des textes argumentatifs, qu'ils soient faits pour convaincre ou pour persuader, est évidente. Cependant, l'argumentation en littérature n'est pas toujours couronnée de succès, et cela est souvent dû à la complexité même des textes argumentatifs. [...]
[...] Le problème majeur des écrivains engagés a donc longtemps été de concilier leur volonté de s'adresser au plus grand nombre et la complexité du message à transmettre ; même en exceptant d'office la part très importante d'analphabètes dans la population, ces auteurs n'ont presque toujours écrit que pour une élite intellectuelle, donc sociale. Deux alternatives s'offraient alors à l'écrivain : admettre de n'écrire que pour un public choisi ou, dans une certaine mesure, vulgariser son propos, ou tout du moins en rendre l'appréhension plus facile. Ce premier choix fut celui d'auteurs de cour, par exemple : ainsi Machiavel offre-t-il son Prince comme un recueil de conseils au futur souverain Laurent de Médicis, et non au peuple, qu'il tient de fait à l'écart de la res publica. [...]
[...] La censure a donc longtemps régi la vie littéraire et, dans une certaine mesure, intellectuelle, jusque dans des périodes où sa surveillance devenait contrôle total : le meilleur exemple en est évidemment sous l'Occupation, où les auteurs dont les idées n'étaient pas connues pour être en adéquation avec celles du régime étaient poursuivis sans relâche et bien évidemment dans l'incapacité de faire publier. La littérature résistante est forcément clandestine et les prises de position ne peuvent être explicites : on retrouve, par exemple, avec des années de recul, les stigmates de son engagement dans les poèmes d'Aragon, ou dans Les Mouches de Sartre mais qui paraissent difficilement avoir pu être compréhensibles par le grand nombre à l'époque de sa publication. [...]
[...] A noter, d'ailleurs, que ces mêmes théories furent reprises au milieu du XXème siècle par le régime fasciste en Italie pour légitimer son pouvoir autocrate : la mauvaise foi ou la volonté de récupération du lecteur face à un texte argumentatif peut suffire à dévier celui-ci de l'objectif voulu par son auteur . On voit donc que l'efficacité des œuvres à visée argumentative est mue par un grand nombre de facteurs, et que la complexité de sa forme n'en est qu'un parmi les autres. [...]
[...] Le concept de l'écrivain porteur de message pour son époque remonte jusqu'à l'Antiquité : déjà les comédies antiques, dont les plus célèbres demeurent celles d'Aristophane, étaient traditionnellement interrompues par la parabase, au cours de laquelle l'écrivain s'exprimait, par le truchement du coryphée, sur des sujets d'actualité brûlante, tels que les nombreux scandales qui faisaient le pain quotidien de la vie publique. Enrobées par la grivoiserie des thèmes de la comédie, ces parabases étaient communément reconnues comme des armes politiques redoutables dans les rouages de la démocratie athénienne. Cette tradition de relation entre l'écrivain et le lecteur ou spectateur ! [...]
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