« J'écris mes livres comme on ferait un tableau. Et tout tableau est d'abord une composition », expliquait Claude Simon à Jacqueline Piatier, journaliste du Monde. L'écrivain, selon ses termes, décrit « une image qui se forme en lui », dans toute sa mobilité, mêlant le projet de l'écriture, l'imaginaire et la langue au temps de l'écriture. C'est pourquoi, lors de la conférence Nobel du 9 décembre 1985, il déclarait : « on n'écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s'est passé avant le travail d'écrire, mais bien ce qui se produit (et cela dans tous les sens du terme) au cours de ce travail, au présent de celui-ci ».
Etant parfaitement justifiés pour des œuvres littéraires de fiction « pure », qui en réalité sont très rares, les dires de Claude Simon n'en sont pas moins problématiques en ce qui concerne les œuvres pour lesquelles la fictionnalité est remise en cause. De fait, des œuvres comme D'un château l'autre de Céline, ou encore L'espèce humaine de Robert Antelme, qui sont basées sur des faits réels, tels que l'exil des collaborateurs ou les camps de concentration, sont à première vue principalement ancrées dans un temps passé : on ne peut nier la vérité historique de ces événements. Mais alors est-ce de la littérature ? Est-ce de la fiction ?
Le problème posé par Simon rejoint une problématique plus générale. Si ces textes ne sont écrits qu'au temps du passé, ce ne sont que des retranscriptions personnelles, des mémoires, et non de la littérature, encore moins de la fiction. Cependant, ces deux œuvres sont considérées comme des œuvres littéraires avant d'être des témoignages historiques. Il s'agira donc de voir dans quelle temporalité l'œuvre de ces auteurs est inscrite : quel est le temps de l'œuvre ? Comment « la symbiose » (Claude Simon) de ces différentes temporalités engendre une « pseudo fiction ».
Dans ce but, nous constaterons que la citation de Claude Simon pose problème puisque ces textes sont bien ancrés dans un passé, un passé historique qui est leur base, leur « projet initial ». Cependant, il nous faudra ensuite nous pencher sur le temps de l'écriture, « le présent de celui-ci », qui, dans un texte de littérature, imprègne obligatoirement l'œuvre, actualisant un contenu passé. Enfin, nous verrons à travers le prisme de la langue, des mots, de quelle manière les deux temporalités s'imbriquent, pour constater, comme l'explique Claude Simon, que l'œuvre résulte « non pas du conflit entre le très vague projet initial et la langue, mais au contraire d'une symbiose entre les deux qui fait que le résultat est infiniment plus riche que l'intention ».
[...] C'est l'œuvre de cette remémoration, de cette déconstruction des souvenirs qui leur rendent une intensité qu'un simple témoignage historique n'aurait pas pu éveiller. Il y a probablement une projection du moi présent dans le passé et donc une appréhension différente. Il existe comme une logique étrange qui veut que pour mieux transcrire un souvenir, il faut le dénaturer pour lui rendre son intensité. Ce sont toutes ces modifications qui font d'un texte a priori historique un texte plus ou moins fictionnel, que l'effet soit voulu ou non. [...]
[...] Il est impossible de caractériser L'espèce humaine en œuvre de fiction, ni même de pseudo fiction. Ce texte est seulement touché par une distorsion, par une sorte de fictionnalisation infime, inhérente au présent de l'écriture de toute œuvre littéraire. C'est pourquoi n'écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s'est passé avant le travail d'écrire, mais bien ce qui se produit (et cela dans tous les sens du terme) au cours de ce travail, au présent de celui-ci comme le déclare Claude Simon. [...]
[...] La collection TEL de Gallimard dans laquelle est publié son livre est d'ailleurs connue pour publier des références en sciences humaines, souvent historiques. Il n'en est pas de même en ce qui concerne D'un château l'autre, publié dans la collection Folio, connue pour éditer des œuvres de fiction. Pourtant, Céline s'appuie bien sur des faits passés et son œuvre serait à première vue davantage une œuvre autobiographique que fictionnelle ; il parlait lui-même de chroniques. Jean-Pierre Martin a insisté dans son travail de recherche sur l'incipit du roman D'un Château l'autre en montrant qu'on y voit tous les signes traditionnels de l'autobiographie. [...]
[...] p. 19) ; il ne se contente pas de prouver que ces dires sont justes, mais il insiste sur le fait que lui seul peut nous décrire ces faits. Le narrateur semble donc avoir besoin d'appuyer sa position pour sans cesse réaffirmer le pacte référentiel, tout en instaurant un climat de connivence avec les lecteurs de vous à moi, confidentiellement Il va même jusqu'à jusqu'à inviter le lecteur à aller voir l'endroit de son arrestation à Copenhague : Allez-y voir! [...]
[...] Le problème posé par Simon rejoint une problématique plus générale. Si ces textes ne sont écrits qu'au temps du passé, ce ne sont que des retranscriptions personnelles, des mémoires, et non de la littérature, encore moins de la fiction. Cependant, ces deux œuvres sont considérées comme des œuvres littéraires avant d'être des témoignages historiques. Il s'agira donc de voir dans quelle temporalité l'œuvre de ces auteurs est inscrite : quel est le temps de l'œuvre ? Comment la symbiose (Claude Simon) de ces différentes temporalités engendre une pseudo fiction Dans ce but, nous constaterons que la citation de Claude Simon pose problème puisque ces textes sont bien ancrés dans un passé, un passé historique qui est leur base, leur projet initial Cependant, il nous faudra ensuite nous pencher sur le temps de l'écriture, le présent de celui-ci qui, dans un texte de littérature, imprègne obligatoirement l'œuvre, actualisant un contenu passé. [...]
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