Aldo, dans Le Rivage des Syrtes, a une relation particulière avec le temps puisqu'il est à la fois auteur de son récit et personnage de ce même récit. Il s'agit dans un premier temps d'étudier l'expérience d'Aldo dans le temps diégétique. Il y a un fort contraste entre son départ puis arrivée dans les Syrtes et l'exploration de cette toute nouvelle vie. En effet, au début, Aldo reste totalement passif face au temps, il le subit. Lorsque le jeune homme arrive à l'Amirauté, il se trouve confronté à un lieu mort, figé dans le temps. Tout semble plongé dans l'ennui, l'errance, figé dans le rituel et la régularité de l'horloge. Le personnage emblématique de ce lieu, Marino, le dira lui-même dès l'arrivée d'Aldo : « Le rassurant de l'équilibre, c'est que rien ne bouge ». Ainsi, les individus qui occupent l'Amirauté ont accepté un sort inévitable, une soumission au destin, un refus d'intervention et par conséquent une résignation devant ce qui doit arriver. Aldo se trouve donc enraciné dans un quotidien marqué par la répétition et un temps vide de sens et d'action. Celui-ci passe alors ses journées à errer dans l'Amirauté sans trouver de but et de rôle à jouer. Il nous décrit page 26 une de ces journées marquées par l'ennui : « Mes fonctions d'observateur devaient, dans cet état de stagnation, me donner aussi peu de souci que possible. Il semblait très vite qu'il n'y eût rien à observer à l'Amirauté ; pour m'éviter le ridicule, et faire reculer un peu l'ennui de l'isolement, il ne me restait qu'à tenter d'apprivoiser des suspects aussi apparemment inoffensifs. » Cette paix du temps voulue et assumée par les occupants des Syrtes ne permet pas la symbolisation de l'état d'Orsenna. Et c'est cette absence de symbolisation qui laisse à l'ennui tout son empire. Aldo va alors se confondre peu à peu dans cette errance existentielle, s'adonnant lui-même à ces rites qui façonnent l'emploi du temps de l'Amirauté. Sa vie soumise à un temps régulier, la vue de cette mer « noire » des Syrtes, va lentement pousser Aldo à explorer autre chose que cette monotonie quotidienne. Il va trouver dans ce lieu mort un endroit qui va faire éclater les portes de l'Amirauté, un monde en microcosme qui va l'aider à réactiver le temps. Cet endroit, c'est la chambre des cartes.
[...] Sa vie soumise à un temps régulier, la vue de cette mer noire des Syrtes, va lentement pousser Aldo à explorer autre chose que cette monotonie quotidienne. Il va trouver dans ce lieu mort un endroit qui va faire éclater les portes de l'Amirauté, un monde en microcosme qui va l'aider à réactiver le temps. Cet endroit, c'est la chambre des cartes. Dès lors où Aldo va découvrir la chambre des cartes, cela va l'entraîner vers la quête d'une ivresse qui porterait remède à l'ennui de ce monde figé dans le temps. [...]
[...] Aldo aura donc, dans le temps diégétique, une double position face au temps. D'abord passif, il devient vite la force qui transforme le temps et le pousse à rechercher l'ivresse d'un instant qui bouleverse une vie et un monde. Dans Le Rivage des Syrtes, Aldo décide de raconter l'histoire de cette période de sa vie qui nous est offerte. Il revient donc sur son passé et c'est en premier lieu pour nier son présent. En effet, ce temps de l'écriture nous apparaît comme une sorte de refuge contre le présent. [...]
[...] Les deux personnages vont entretenir une véritable fascination pour une fatalité qui serait celle de la mise en jeu unique, qui fait basculer les vies en un instant. Cette fatalité va l'entraîner vers un destin inscrit auquel il ne peut échapper. Aldo, poussé par son désir d'action et par un ensemble de forces qui vont le mener beaucoup plus loin qu'il ne le croyait, va devenir l'agent malgré lui de la réouverture du conflit avec le Farghestan. Ainsi, c'est bien lui qui provoque les événements et qui manipule le temps. [...]
[...] L'écriture d'Aldo est l'affirmation que les lieux de l'errance passée sont définitivement quittés. Le récit du passé mène à une chute dans le silence de la parole. D'ailleurs, dans le roman, on trouve le mot vide à 91 reprises, et le mot silence 164 fois. C'est donc parfaitement révélateur de cette absence qui régit le présent d'Aldo. Le récit aboutit à un rien, un creux, un monde où Aldo finit par se fondre dans un vide. L'Aldo présent n'existe plus. [...]
[...] Mais malgré tout, Aldo trouve enfin un sens à combler ce vide qui définissait sa vie, il dira : Le sentiment intime qui retendait le fil de ma vie depuis l'enfance avait été celui d'un égarement de plus en plus profond [ ] Et maintenant le sentiment inexplicable de la bonne route faisait fleurir autour de moi le désert salé L'eau noire devient alors eau vive, le Redoutable reprend sa fonction première, et les hommes se sentent à nouveau vivre. Aldo redonne vie au temps tout en le menant à sa fatalité, ce qui marque le paradoxe du Rivage des Syrtes : cet acte qui était censé baptiser le monde va réduire Orsenna en cendres. Aldo a voulu voir ce qui ne pouvait être vu sans danger et la dimension mortelle de son acte lui échappe. [...]
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