Les lieux traversés par Cocteau vibrent encore de sa présence et de ses ondes, comme arrêtés dans le temps. Là où il a vécu, là où il a travaillé, là où il a aimé, persiste une trace, visible ou invisible, qui draine des foules de visiteurs ou attire les fervents admirateurs du poète et de son oeuvre. On peut suivre son passage à Londres, dans la petite église catholique Notre Dame de France, qui se dresse dans une rue tranquille1 à quelques mètres de Leicester Square, et où il a réalisé, à la fin de sa vie, des fresques murales ; à Rome, à l'hôtel Minerva, où il préparait en 1917 avec Picasso le fameux ballet Parade pour les Ballets russes ; à Paris, à l'hôtel de Castille, rue Cambon, où le poète vécut à deux pas de chez son amie Coco Chanel ; ou encore à Villefranche-sur-mer, à l'hôtel Welcome : «Un hôtel hanté fut l'hôtel Welcome à Villefranche».
C'est en 1924 que Cocteau y descend pour la première fois avec la bande de ses amis opiomanes, avec lesquels il essaie d'oublier Radiguet. Jusqu'à la fin des années 1930, il y retournera presque chaque année, pour finalement y revenir sans cesse entre 1950 et 1962, depuis la villa Santo Sospir de Francine Weisweiller, où il résida fréquemment.
A l'hôtel Welcome, « on dessina, on inventa, on se visita de chambre en chambre », avec Christian Bérard, rencontré au restaurant de l'hôtel, mais aussi Jean et Jeanne Bourgoint, les modèles des "Enfants terribles", Isadora Duncan, d'autres artistes et les marins américains. Si la flotte américaine a aujourd'hui déserté les ancrages de Villefranche, elle y était du temps de Cocteau omniprésente, comme d'ailleurs dans son oeuvre. « J'ai observé à Villefranche, jadis, des marins américains pour qui l'exercice de l'amour ne présentait aucune forme précise et qui s'arrangeaient de n'importe qui et de n'importe quoi. » ("La Difficulté d'être", 1947)
[...] De naissance, le poète est inapte à la conciliation, autonome et libre. Ouvert aux autres, bien sûr, disponible pour les contacts humains, les échanges, dont il a besoin pour s'arracher à «l'humaine et tendre boue», mais à aucun moment il ne cédera à une influence qu'il n'a pas souhaitée, à une école autre que l'école buissonnière. «Artiste dans toute l'acception du terme ? J'aimerais l'être encore davantage, mais il y a des règnes où je ne peux pas mettre les pieds, comme la musique par exemple ; je trouve qu'un poète devrait être capable, comme les mauvais sujets, de tout.» Dans sa production théâtrale, Cocteau opère un virage similaire. [...]
[...] C'était Les Enfants terribles. J'ai vécu dans son ombre, et je tiens à le rester. Il apportait toujours de quoi se réjouir.» A Milly-la-Forêt, la voix d'Edouard Dermit, jusqu'en 1995, répondait comme en écho : «C'était le défilé, la consultation. A Paris, c'était invivable. Il abandonnait son travail pour accueillir l'ami qui passait. Il ne voulait plus faire dire à Madeleine[2][2] qu'il n'était pas là, depuis qu'un jeune s'était jeté dans l'escalier. «Plus jamais. Un mot peut tant,» me disait- il. [...]
[...] Le surnaturel est ramené au niveau du quotidien. C'est aussi la recette qui permet au spectateur d'entrer de plain-pied dans un monde de fantômes parce qu'il fait mine de respecter un certain cartésianisme, même s'il bascule rapidement dans un univers de miracles cher au poète. ne ferai plus de films, écrit Jean Cocteau au début des années soixante, jadis j'aurais été dans une petite voiture et Picasso aussi. Nous avons gagné beaucoup de temps : un homme quand j'étais jeune, un homme à quarante-cinq ans et une femme à quarante se déguisaient en vieux et c'était fini et c'est à cet âge-là qu'on commence maintenant, mais tout de même j'ai mon âge, et Le Testament d'Orphée est mon dernier film. [...]
[...] Elle dresse sa structure hexagonale sur un promontoire rocheux surplombant Fréjus. Rien ou presque n'a vraiment changé à Villefranche-sur-mer. Les autochtones ont conservé leurs habitudes. On dîne à la fraîche sur la plage. On regarde passer au large les derniers paquebots du monde, illuminés au fond de la baie où Cocteau naviguait sur Sibylle» en 1935, avec son ami Marcel Khill, dans l'exploration de la Côte d'Azur. Non, vraiment, rien n'a changé. Le flux des touristes est peut-être un peu plus dense, les terrasses des cafés un peu plus pleines, mais la routine continue d'être douce, les étoiles s'allument toujours dans le même ordre au-dessus de Saint-Jean-Cap-Ferrat, les barques s'entrechoquent dans un rythme invariable et le phare promène toujours son porte-voix sur la mer. [...]
[...] Les «Eugène», car il est question d'eux, ont de notre réel les comportements, les préoccupations et une certaine forme de rationalisme où le lecteur peut se retrouver par un phénomène de projection personnelle. En revanche, ils semblent appartenir au rêve par l'effet d'un style d'écriture qui leur donne une vitesse nouvelle, les exempte de la pesanteur humaine, abolit le temps et l'espace tels que nous les concevons et les place dans un «ailleurs» où chaque chose prend un relief différent. [...]
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