Commentaire composé
Molière s'est attaqué dans Le Tartuffe à l'hypocrisie, un "vice à la mode" dont les implications et les ramifications s'étendent à toute la société de son temps, ce qui explique que "la cabale des dévots" ait tout fait pour interdire la pièce.
Cet extrait de la scène 6 de l'acte III présente un intérêt particulier par rapport au déroulement de l'intrigue. Il se situe à un moment dramatique, un point où le suspens culmine : Orgon vient d'entendre de la bouche de Damis que Tartuffe a tenté de séduire sa femme, et Elmire a confirmé (scène 5). Le spectateur est extrêmement curieux de connaître la réaction d'Orgon : va-t-il croire son fils et sa femme, ou nier leur témoignage pour leur préférer ses illusions sur Tartuffe ?... Et Tartuffe lui-même, comment va-t-il tenter de sortir d'embarras ? Y parviendra-t-il ?...
Cet extrait est caractérisé par un net déséquilibre dans la répartition des répliques : celles de Tartuffe s'étalent à deux reprises sur plus de dix vers, tandis que celles de Damis sont non seulement brèves (moins de deux vers) mais tronquées. Quant à Orgon, c'est lui qui distribue la parole… en toute iniquité.
Dénoncé par Damis, Tartuffe ne nie pas ses accusations, mais s'accuse au contraire de tous les péchés imaginables. Orgon ne voit dans ce mea culpa excessif qu'une preuve de plus de l'admirable humilité de son "frère", et s'enfle de rage contre son fils, qu'il prend pour un vil calomniateur. Tartuffe incarne son personnage de saint jusqu'au bout en prenant la défense de Damis. L'extrait se termine sur le tableau d'un Tartuffe à genoux, implorant le pardon du père pour le fils, et d'Orgon à genoux lui aussi, s'indignant contre Damis.
Ce début de la scène 6 est caractérisé par un comique grinçant, car c'est au triomphe de la duplicité et à l'échec de la sincérité que l'on assiste. Le spectateur est partagé entre le rire et l'indignation écoeurée, et sympathise de tout cœur avec le pauvre Damis. C'est aussi une scène éminemment théâtrale et baroque, où Tartuffe joue en virtuose sur les apparences.
Nous étudierons d'abord à la dimension comique du passage, puis à sa dimension baroque, enfin nous nous intéresserons à l'habileté dont Tartuffe fait preuve ici.
[...] Le fait que ce soit Tartuffe lui-même qui prononce ce réquisitoire contre son propre "extérieur" illusoire lui confère une force extraordinaire. En effet, dans la bouche de Tartuffe, cet aveu prend une signification encore plus profonde : oui, effectivement, les apparences sont trompeuses, mais pour un esprit crédule et superficiel comme celui d'Orgon, elles n'en sont pas moins le seul et unique critère de vérité. Il suffit donc à l'imposteur de prendre la posture du dévot contrit et de prononcer quelques paroles mielleuses pour que la dupe des apparences tombe en extase devant ce "saint" entièrement fictif L'habileté de Tartuffe Introduction A ce point de la pièce, Tartuffe est dans une situation critique et doit faire preuve de toute son habileté pour s'en extraire. [...]
[...] . " (v. 1089-1090) "Quoi ? ses discours vous séduiront au point " (v.1108) "J'enrage ! Quoi ? je passe " (v.1110) "Quoi ? je " (v.1118) Cette résistance nourrit la fureur d'Orgon, qui suit une courbe ascendante jusqu'à son paroxysme : "Si tu dis un seul mot, je te romprai les bras" (v.1111) b. Détourner l'attention du forfait Tartuffe se montre doublement habile dans son mea culpa. [...]
[...] Il est clair que quand bien même Tartuffe eût été de bonne foi, la meilleure méthode pour que Damis en convînt n'aurait certainement pas été de l'accabler d'injures Orgon nous montre ici le fond de son caractère : des passions emportées et aucun bon sens qui puisse les contenir. On peut le dire avec moins d'indulgence : Orgon est à la fois stupide et sur-émotif ce qui le rend extrêmement risible. b. Tartuffe Le personnage de Tartuffe contribue lui aussi au comique du passage, mais d'une manière opposée. [...]
[...] Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ? Vous fiez-vous, mon frère, à mon extérieur ? Et pour tout ce qu'on voit, me croyez-vous meilleur ? Non, non : vous vous laissez tromper à l'apparence, Et je ne suis rien moins, hélas ! que ce qu'on pense ; Tout le monde me prend pour un homme de bien ; Mais la vérité pure est que je ne vaux rien." (v.1091-1100) Cette tirade incroyable brouille la limite entre le vrai et le faux : ici Tartuffe ose dire la vérité . [...]
[...] Jouant la contrition, Tartuffe s'accuse : "Oui mon frère, je suis un méchant, un coupable, Un malheureux pécheur tout plein d'iniquité, Le plus grand scélérat qui jamais ait été" (v. 1074-1076) L'hyperbole et l'exagération de cette auto critique, mais aussi la douceur onctueuse avec laquelle Tartuffe demande à Orgon d'épargner Damis, renforcent l'effet comique : "Mon frère, au nom de Dieu, ne vous emportez pas. J'aimerais mieux souffrir la peine la plus dure, Qu'il eût reçu pour moi la moindre égratignure." (v.1112-1114) Cet admirable dévouement prend un relief comique lorsque l'on garde à l'esprit que c'est Tartuffe le coupable, et Damis l'innocent. [...]
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