La découverte freudienne de l'inconscient remet totalement en cause le lyrisme traditionnel, qui se voulait une expression autobiographique et consciente des dynamiques intérieures de l'écrivain. Ainsi, au début du XXème siècle, l'être découvre une part de lui-même qui lui est étrangère et qu'il va laisser s'exprimer au travers de l'écriture poétique surréaliste. Et si Rimbaud avait déjà pressenti que « Je est un autre », c'est avec le Nouveau Lyrisme que se développe l'idée d'une dislocation intime du poète. Jules Supervielle se rapproche de ces théories dans la mesure où il perçoit cette étrangeté tapie en lui-même, « ce double de nous-mêmes qui dans l'ombre nous surveille » (...)
[...] La poésie de Supervielle est une poésie de l'intuition plus que du savoir, de la sagesse, respectueuse de son objet et de chaque élément de l'univers. Il s'agit de faire en sorte que l'ineffable devienne familier tout en gardant ses racines fabuleuses, et donner un corps à ce mystère confiné en soi, une présence au monde. À cet égard, sa poésie entre en résonance avec celle, plus tardive, de poètes de la présence tels que Philippe Jaccottet ou Yves Bonnefoy. La mort, pour un instant, a cet air de fraîcheur de la fleur perce- neige[ . [...]
[...] Jules Supervielle se rapproche de ces théories dans la mesure où il perçoit cette étrangeté tapie en lui-même, ce double de nous-mêmes qui dans l'ombre nous surveille À son propos, Sabine Dewulf écrit ainsi : Le moi ne sera donc présent dans le texte que sous la forme d'un inaccessible objet Le poète cherche une voie d'accès vers son obscurité intérieure, tout en préservant le mystère pour ne pas le détruire. S'il est vrai que le sujet lyrique se dérobe constamment à lui-même, c'est par le détour de l'écriture poétique qu'il parvient à s'en rapprocher. L'œuvre de Supervielle se caractérise, il est vrai, par le désir de réconcilier les multiples facettes qui le constituent, mais qui se repoussent telles des aimants de champs magnétiques identiques. [...]
[...] Il donne une structure à ce moi fuyant en le gravant sur la page blanche. L'écriture fonctionne comme un processus de concrétisation. La forme souvent classique et structurée des poèmes devient les barreaux d'une cage : le poète tente de capturer son moi volatile entre les lignes du texte, pour devenir spectateur de son chant intérieur, de son oiseau intime ainsi domestiqué. Le poète ne cesse ainsi d'emprisonner son objet comme pour exorciser son obsession. Enfin, la disparition des frontières et la déconceptualisation permettent d'envisager une perspective de réunification. [...]
[...] L'altérité intime se fait ainsi support de la création poétique et de l'émotion lyrique, à la fois porte-mains et porte-visage Face à ce je fragmentaire, le poète perd le contrôle physique de lui-même : Mes mains ne sont plus miennes, Mon front n'est plus à moi. Le morcellement de son être génère un sentiment de déréliction, comme un flou s'installant dans son propre cœur. Le poète est un passant obscurci et devient une pierre dont l'opacité et le poids qui nous est étranger génèrent l'angoisse. Le poète part à la recherche de son cœur, cet ami inconnaissable en quête de familiarité, par le biais de mots simples et de questionnements qui appellent à une forme de connivence. [...]
[...] Le désir d'introspection du sujet se situant davantage dans le domaine sensoriel que cérébral, il utilise la puissance de suggestion des images poétiques pour retenir l'image de [son] voyage sans consentir à s'arrêter, pour en cerner les contours et pouvoir s'en émerveiller. Le poète fait donc coïncider la présence élémentaire et sa présence essentielle et mystérieuse. Les nombreuses allusions au corps physique du poète fixent des limites charnelles à cet être en pleine déréliction. Le poète semble vouloir sculpter le corps de ce double de lui-même pour lui donner son autonomie, sa matière propre. Le corps est enfermement et sécurité. Le poète s'y trouve dans une posture presque foetale, d'où l'image du forçat innocent volontaire. [...]
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