Alors que j'étais au café de Flore, un matin d'hiver, en tête à tête avec un expresso, je surpris une conversation, à la table de derrière, qui m'interpella. Je reculai légèrement ma chaise, pour mieux entendre, et me retournai, l'instant de quelques secondes, afin de mettre des visages, à cette discussion. Il me sembla reconnaître l'un d'eux ; il était présent lors d'une émission littéraire il y a quelques semaines. J'entendais leur conversation très distinctement, et n'en perdais pas une miette... (...)
[...] Entre écrivains et lecteurs, c'est un jeu, une relation sur des outils connus, sur la réalité, restitué par l'un, et reconnue par l'autre. Le serveur les interrompt. Il amene à chacun son café. Après avoir bu quelques gorgée, leur conversation repris. Je vous demande pardon, mon ami, mais pour ma part, je m'ennuierais vite, comme lecteur et comme romancier, si je devais ''patauger'' dans la réalité. La transcription brute et mécanique du réel ne m'intéresse pas du tout, autant faire du journalisme ! La littérature c'est tout de même l'art de l'imagination. [...]
[...] L'écrivain sélectionne les évènements, donne son interprétation des faits, il nous propose son regard personnel, subjectif Vous êtes forcément d'accord sur ce point n'est ce pas? Oui, évidemment, je ne vais pas vous contredire là dessus. En fin de compte malgré nos divergences de vue sur notre métier commun, nous sommes tous deux aussi préoccupés l'un que l'autre par le côté esthétique du roman, non? Ah tout à fait ! Une oeuvre littéraire à des exigences artistiques; c'est de la crétion, de l'art à part entière. L'auteur sublime son sujet par la qualité de l'écriture et de la composition. [...]
[...] De toutes façons, le roman crée de la beauté et ainsi nous donne une multitude d'émotions et de partages esthétiques. C'est là sa fonction essentielle. Le serveur amena la note. Leur débat touchant à sa fin, je mit ma veste et m'en alla. Je ne m'étais rendu compte du temps qui était passé, trop absorbé par les paroles de ces deux hommes, qui étaient en train de faire sous mes yeux (plutot mes oreilles), le sujet d'invention que j'avais a faire pour le cours de Français, dans les jours suivants. [...]
[...] Mon cher ami, rappelez-vous la définition que le grand Stedhal donne au roman: . un miroir que l'on promène le long des chemins C'est bien vrai que nous, écrivains, trouvons naturellement notre inspiration dans ce que nous connaissons, dans ce qui nous entoure, dans l'actualité de notre temps, c'est ainsi que nous pouvons prendre une ''photographie'' de notre époque. L'oeuvre littéraire est un moyen d'approcher le monde, de le comprendre pour mieux en décrypter les mystères, un moyen aussi de mieux connaître les êtres humains, leur complexité, leurs relations, donc de mieux se connaître soi-même. [...]
[...] Peut être, peut être . Mais lorsque vous semblez très loin de la réalité, dans un monde totalement imaginaire, par exemple dans les Fables de La Fontaine où des animaux sont mis en scène et parent, eh bien, vous le savez, en fait derrière cet univers de conte se cache une transcription de la réalité de l'époque, une dénonciation des mentalités comme la hiérarchisation trop poussé de la société du 17e où la monarchie était à son apogée. Il n'est pas possible de se détacher du réel et de prendre son envol dans l'imagination pur. [...]
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