Le style, c'est ce qui donne à l'œuvre le rang d'œuvre d'art. C'est ce qui individualise l'œuvre et son auteur, les singularise. Ne parle-t-on pas du style d'un écrivain ? Il apparaît alors logique que le style, à fonction individuante, essentiel à l'écrivain, ait pu donner lieu à des conceptions différentes d'un écrivain à l'autre. Par exemple, selon Proust, « Le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de techniques mais de VISION ». Le travail de l'écrivain est ici comparé à celui du peintre : le style est à l'écrivain ce que la peinture est au peintre. Ce qui fait que la production de chacun sera de qualité et acquerra le statut d'œuvre d'art serait la vision, non les techniques. L'artiste apparaît comme étant celui capable de voir ce que les autres ne voient pas. Par le style, on pourrait mesurer la capacité de l'artiste à faire voir.
Le style est-il véritablement indépendant de la technique, comme procédé utilisé pour la seule réalisation de l'œuvre ? Y a-t-il une suprématie de la vision sur la technique ?
Certes l'écrivain doit faire voir, il doit rendre visible l'invisible. Mais la seule vision ne permet pas de soutenir une œuvre littéraire, la maîtrise de la technique a un rôle à jouer dans le processus de création de l'œuvre d'art. En effet, la restitution de ce qui a été vu s'exécute par des mots à la portée de tous : comment alors individualiser une œuvre d'art, comment singulariser une expérience personnelle ?
[...] Mais depuis le XIXe siècle, les écrivains privilégient les effets graphiques et visuels aux effets phoniques. Cette tendance se poursuit au XXe siècle à travers le courant surréaliste notamment. Ainsi Breton, dans le poème Union libre loue la femme aimée par le biais d'images étonnantes, inattendues, qu'on ne saurait expliquer : Ma femme à la langue d'hostie poignardée A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux A la langue de pierre incroyable Si le peintre voit ce qu'il peint, mais peint plus ce qu'il voit, il en est de même pour l'écrivain. [...]
[...] Cet affaiblissement connaît un élan soudain au XIXe siècle menant à des recherches d'images de plus en plus originales. Les images des XVIe et XVIIe siècles étaient en comparaison plus classiques, moins pertinentes, sans pour autant être désuètes : flamme est une métaphore banale qui connote amour et continue de connoter cet amour, ce n'est pas pour autant que la flamme a remplacé l' amour dans le lexique. Ces images classiques ont encore un certain impact sur celui qui les lit. [...]
[...] Les affres de la création La maîtrise de la technique n'interfère-t-elle pas en effet dans le processus qui mène de la vision au style ? S'il était seulement question de voir et faire voir, qu'est-ce qui différencie alors un vulgaire stylo bille d'une grande plume ? Pour faire voir, l'écrivain est confronté aux difficultés de l'écriture, aux affres de la création - il y a création car l'artiste doit faire voir ce qui n'a jamais été vu. Baudelaire mentionne ces difficultés dans le poème Élévation : Heureux celui qui sans effort Comprend le langage des fleurs et des choses muettes Flaubert dont l'ambition était de disparaître derrière l'œuvre, confie dans une lettre à Louise Colet sa maîtresse, les difficultés que lui posent ses exigences d'écriture, les souffrances qu'il endure à rédiger Madame Bovary. [...]
[...] Pour l'écrivain, il semble que ce qui est en jeu est autant question de vision que de techniques la parole poétique En effet, comment restituer ce qui a été vu ? Comment restituer la vision ? Rousseau dans Les Confessions rencontre ce problème lorsqu'il évoque le sentiment de bonheur que lui ont inspiré et que lui inspirent encore au moment de l'écriture les paisibles mais rapides moments passés chez Maman Madame de Warens : Comment ferais-je ( ) pour redire toujours les mêmes choses sans risquer d'ennuyer le lecteur, sans risquer une infidélité au vécu ? [...]
[...] Les mots de la tribu Le langage, en effet, est un instrument à la portée de tous et qui découpe le réel de manière arbitraire. Les mots du langage courant sont utilisés par tout le monde. Or ce sont les mêmes mots qu'utilisent les écrivains. Comment alors ces derniers réussissent-ils à restituer des expériences personnelles et singulières sans pour autant les banaliser par l'emploi de mots communs ? Comment par le style, dans un sens technique, l'écrivain se singularise-t-il ? L'écrivain utilise la médiation de la parole poétique. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture