En se penchant sur la question du lecteur on approche une des thématiques essentielles de cet ouvrage de Sterne. Tout le monde le sait, ce livre est étrange, difficilement classable, hors des conventions littéraires. Et il l'est justement en grande partie à cause de sa relation insolite qu'il entretient avec le lecteur.
Mais se pose la question de savoir si ce roman est véritablement hors des conventions de la littérature du dix-huitième siècle. Evidemment, il ne l'est pas. En revanche, il est imbibé de ces règles puisque son auteur a entrepris de les mettre à nu devant nous, d'arracher le masque du roman bien agencé et de montrer au lecteur la mécanique interne de ce que l'on nomme communément novel.
[...] C'est ensemble que auteur et lecteur entreprennent l'exploration à travers le monde shandyen. Que l'écrivain imagine les réactions des Ses Altesses comme il dit souvent, qu'il s'explique plus en détail lorsqu'il suppose des doutes dans l'esprit de celui qui lit ou qu'il s'assure simplement de la concentration du lecteur en s'adressant directement à lui ni l'auteur ni le lecteur sont seuls quand il sont avec ce livre. Cette victoire sur une des conventions stéréotypées de l'écriture et de la lecture, à savoir la solitude de l'écrivain qui noircit page après page dans le silence de son sombre cabinet ainsi que le calme d'une bibliothèque dont un lecteur solitaire aurait banni toute communication, cette victoire est une des caractéristiques les plus frappantes de ce roman. [...]
[...] Le narrateur met ainsi en œuvre une modification insensible de la manière dont le lecteur accueillit le texte et qui a des répercussions sur le rapport auteur-lecteur. Au début on fait face a quelque chose que j'ai nommé toute à l'heure enseignement et que nous avons vu au sujet de la rélecture du chapitre dix-neuf. On passe ensuite à une sorte de connivance ludique qui se manifeste par exemple au chapitre trente- huit du livre six où Tristram, pour décrire l'aspect extérieur de la veuve Wadman, suggère à son lecteur: Asseyez-vous, monsieur, et tracez un portrait à votre guise : qu'il se rapproche autant que vous le pourrez des traits de votre maîtresse, qu'il diffère autant que votre conscience vous le permettra des traits de votre femme peu m'en chaut ne songez qu'à vous satisfaire. [...]
[...] Ouvertement le lecteur accompagne l'échec de l'écrivain. C'est cela ce qui nous lie à Sterne et à Tristram, ce qui nous les rend proche et familier : la lutte pour la réussite et la modeste constatation de l'échec. Pour conclure, je voudrais souligner la proximité dans laquelle auteur et lecteur se trouvent. Nous avons vu à quel point le narrateur tient à la cordialité de cette relation qui toutefois ne renonce pas à une forte touche de pédagogie et de didactique de sa part. [...]
[...] Sterne et son lecteur dans Vie et opinions de Tristram Shandy En se penchant sur la question du lecteur on approche une des thématiques essentielles de cet ouvrage de Sterne. Tout le monde le sait, ce livre est étrange, difficilement classable, hors des conventions littéraires. Et il l'est justement en grande partie à cause de sa relation insolite qu'il entretient avec le lecteur. Mais il se pose la question de savoir si ce roman est véritablement hors des conventions de la littérature du dix-huitième siècle. [...]
[...] Ce roman est une sorte d'instruction sur l'usage des mots, ou plus précisement un avertissement sur les effets secondaires du langage et un appel à en faire un emploi prudent et délibéré. Si le lecteur ne sait pas exactement ce que l'auteur cherche à exprimer, il vaudrait mieux se méfier de la signification que l'on croit y déméler. Toutefois, jamais le lecteur n'est complètement abandonné par l'auteur. En revanche, ce dernier lui-même semble succomber à la puissance de ses propres mots et aux volontés incontrôlables de son histoire. [...]
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