Lorsque Jean-Jacques Rousseau écrit les premiers mots des Confessions, il clame haut et fort l'originalité de son projet: « Je forme une entreprise qui n'eut point d'exemple et qui n'aura point d'imitateur ». Et la nouveauté réside dans l'objet même du livre: parler de soi pour analyser « l'histoire de sa propre personnalité » (Philippe Lejeune) dans un souci de vérité absolue que Rousseau souligne de manière particulièrement marquée: « Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon ». Et voilà la vérité inscrite dans la définition même de l'écriture autobiographique. Aujourd'hui ce genre reste florissant, et, si nous laissons de côté les nombreux journaux intimes et mémoires qui ne seront jamais lus, pour faire porter notre réflexion sur la littérature, nous constatons que nombreux sont les auteurs qui entreprennent cette démarche. Les textes contemporains réunis dans le corpus en constituent quelques exemples et nous ne manquons pas d'être frappés par le renouvellement du genre depuis les Confessions, par les mises en scène auxquelles les auteurs ont recours pour parler d'eux-mêmes. Mais ces détours littéraires, ces travestissements n'entrent-ils pas en contradiction avec le souci de vérité inscrit dans la définition même de l'écriture autobiographique? En d'autres termes, ce souci de vérité n'interdit-il pas les masques littéraires dont usent certains auteurs?
[...] Peut-être doit-on comprendre ainsi Les Mémoires d'Hadrien, récit biographique à la première personne dans lequel, de manière indirecte, Marguerite Yourcenar parle d'elle-même. Le détour par la fiction en est un autre. C'est par exemple le parti pris de George Perec qui construit W ou le Souvenir d'enfance sur l'alternance d'une quête autobiographique Je n'ai pas de souvenir d'enfance et d'une contre-utopie, W. Le monde olympique fictif de W s'avère vite être un cauchemar: violence et mort, enfermement, sélection Le lecteur comprend que cette fiction est une métaphore des camps de concentration dans lesquels ont péri les parents de l'auteur. [...]
[...] Toutes les voies nouvelles ouvertes par les auteurs contemporains sur le terrain pourtant déjà exploré de l'écriture autobiographique vient à toucher un lecteur en donnant vie au texte. C'Est-ce que rappelle Marguerite Duras dans le passage que nous avons cité plus haut: le souffle est rendu à la vie Et si nous lisons Les Confessions comme un roman, sans nous soucier finalement de savoir si ce qui est raconté s'est exactement passé ainsi, c'est tant mieux! Marcel Proust distinguait la vie réelle et la vie littéraire en ajoutant que celle qui est vraiment vécue est dans les livres: l'histoire lui a donné raison puisque nous continuons d'être jaloux d'Odette avec Swann ou d'Albertine avec le narrateur. [...]
[...] Le souci de vérité est bien la priorité absolue des autobiographes ici. Le lecteur d'une œuvre autobiographique fait confiance à l'auteur qui, lui, affirme dire la vérité, comme si l'écriture devenait transparente pour mieux exprimer cette vérité personnelle ou historique. Dans cette perspective, les détours et les masques ne sauraient, semble-t-il, avoir leur place dans cette entreprise. C'est sans compter les difficultés créées justement par ce souci de vérité. Le souci de vérité peut conduire à révéler des failles et des difficultés Le souci de vérité qui est inscrit dans la définition de l'écriture autobiographique, qu'il s'agisse de l'autobiographie, du journal intime ou des mémoires, peut constituer un défi pour des auteurs comme Marguerite Yourcenar, conscients des difficultés immenses du projet. [...]
[...] Le paradoxe se dissout si l'on considère que l'écriture autobiographique ne sera jamais la transcription d'une vérité préexistante, mais qu'elle est plutôt une quête, une tentative pour cerner, voire simplement approcher, un passé qui se dérobe. Les procédés littéraires auxquels ont recours et les voies nouvelles qu'ils empruntent sont au service de cette démarche; ils sont aussi constitutifs de la définition même de l'écriture autobiographique littéraire, car il s'agit toujours de donner vie par le langage. La vérité susceptible de nous émouvoir, en dehors d'un contexte biographique, sociologique et historique particulier, est une vérité littéraire, celle de ce que Proust appelle la vraie vie Sans doute l'écriture autobiographique est-elle un miroir, mais ce qui nous touche c'est, comme dans un roman ou sur la scène d'un théâtre, la vie recréée, le masque littéraire plus expressif et vivant qu'un véritable visage. [...]
[...] Le souci de vérité brandi par les autobiographes est source de difficultés, peut-être même rend-il la tâche impossible. Ce souci de vérité est peut-être plus une quête du vrai qu'une transcription d'une vérité connue Ainsi, il est plus vraisemblable de dire que les auteurs qui parlent d'eux-mêmes sont en quête de la vérité et que cette dernière n'existe pas toute brute, prête à être fidèlement retranscrite. Le souci de vérité est peut-être avant tout une sincérité et une quête de vrai. [...]
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