Dans un entretien accordé au journaliste Ludovic Janvier en 1972, Claude Simon affirme :
« Je ne crois pas caricaturer. L'explication de cette attitude en présence des romans, c'est que Martineau et Faguet1 (et leurs innombrables épigones) considèrent Julien Sorel et autres « héros », comme des personnes « réelles ». Pourtant Le Rouge et le Noir est un roman, donc par définition, une fiction. Mais puisqu'il s'agit de fictions, qu'est-ce que l'écriture nous narre ? Il ne s'agit pas de comptes rendus d'événements qui se sont effectivement produits et comme nous pouvons en lire dans les journaux, mais, (quoique l'idée de Le Rouge et le Noir soit venue à Stendhal à la lecture d'un fait-divers) d'aventures, d'événements, de personnages qui n'ont d'autre « réalité » que celle dans laquelle l'écriture les instaure, n'ont d'existence que par elle. Alors, dans ces conditions, comment diable (ainsi qu'on essaie souvent de nous le faire croire, ou même comme on nous le conseille), par quel bizarre tour de force, l'écriture pourrait-elle « s'effacer » derrière un récit et des événements qui n'existent que par elle ? En fait ce que l'écriture nous narre, ce sont sa propre aventure et ses sortilèges. Et si cette aventure est nulle, si ces sortilèges ne jouent pas, alors, le roman, quelles que puissent être par ailleurs ses prétentions didactiques ou morales, est lui aussi, tout simplement, nul. »
Vous expliquerez et commenterez les propos de Claude Simon, et plus particulièrement la phrase imprimée en gras, en vous appuyant sur vos lectures romanesques et critiques.
[...] Renvoie-t-elle pour cela entièrement à l'âme de l'auteur ? à l'âme du narrateur (si ces deux derniers ne sont pas identifiés) ? Rien n'est moins sûr. Cela pose le problème de l'identification de l'instance narrative : à qui appartient cette aventure ? Ajoutons pour terminer qu'il n'est pas toujours bon de penser que tous les auteurs partagent le point de vue de Victor Hugo : Quand je dis vous, je dis moi ( ) Ô Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! [...]
[...] Mais le ton, ou si l'on veut, la couleur de ses romans, seront en lien avec l'aventure de sa vie, qu'elle ait été heureuse ou pas : ils peuvent en être le reflet fidèle ou déformé : un auteur heureux parlera de bonheur car c'est son état d'esprit, et un auteur malheureux pourra tout aussi bien parler de bonheur, dans une sorte de souhait, de sublimation de la vie qu'il n'a pas pu avoir. L'aventure que l' écriture nous narre est ce qui donne vie au roman, ce qui lui confère une dynamique. Cette dynamique inclut bien sûr les péripéties, les détours, les chemins de traverse L'élaboration du roman doit apparaître, non pas comme un effort, mais doit dépasser l'effort pour être sublimée en création. L'aventure de toute écriture est, représente l'âme du roman, ce qui lui donne son identité propre, sa personnalité. [...]
[...] Ou bien : pour quelles raisons s'est-il lancé dans l' aventure de l' écriture ? On peut partiellement répondre à cette question en observant l'évolution de mode d'écriture, de ton, à l'intérieur de certains romans, ou à travers l'ensemble d'une œuvre (l'œuvre étant l'ensemble de la bibliographie, si l'on peut dire, d'un écrivain). L'aventure peut sous-entendre l'aventure de la vie. L' écriture peut- être considérée comme la métonymie de l'écrivain (si on l'identifie ici au narrateur). Le narrateur (ou l'écrivain), même s'il ne parle pas de lui à travers ses personnages, insuffle une part de sa vie, une part de l'aventure de sa vie à ses personnages, à l'histoire de son roman. [...]
[...] Le sortilège est le don de l'écriture. Le roman n'est donc pas une exposition de faits, d'événements, dont le but est d'être. L'écriture fait exister, même fictivement, des personnages, des situations, leur insuffle vie, sa vie. Le roman est un récit dont l'écriture narre son aventure son histoire, et ses sortilèges : le roman raconte les sortilèges de son écriture. Il nous offre, si l'on peut dire, sa carte d'identité, ce qui le rend unique, distinct et différent des autres. [...]
[...] Mais puisqu'il s'agit de fictions, qu'est-ce que l'écriture nous narre ? Il ne s'agit pas de comptes rendus d'événements qui se sont effectivement produits et comme nous pouvons en lire dans les journaux, mais, (quoique l'idée de Le Rouge et le Noir soit venue à Stendhal à la lecture d'un fait-divers) d'aventures, d'événements, de personnages qui n'ont d'autre réalité que celle dans laquelle l'écriture les instaure, n'ont d'existence que par elle. Alors, dans ces conditions, comment diable (ainsi qu'on essaie souvent de nous le faire croire, ou même comme on nous le conseille), par quel bizarre tour de force, l'écriture pourrait-elle s'effacer derrière un récit et des événements qui n'existent que par elle ? [...]
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