En tant que nouveau romancier, Claude Simon met en scène des personnages caractérisés par leur instabilité et écrit des ouvrages dans lesquels cette notion même de personnage et de "moi" est fortement remise en cause. [...] Cet énoncé met en évidence deux points différents. Il invite en effet à s'interroger sur ce que peut être la cohérence d'un personnage de roman dans une oeuvre, mais aussi sur ce qu'est la notion du "moi" et sur ce que signifie être soi. Or, si l'on suit la logique de l'auteur, être soi serait intimement lié au fait d'être conséquent, ce que suggère la conjonction "puisque". De plus, selon lui, l'inconséquence apparaît comme une donnée acquise puisqu'il serait impossible de rester "le même". La Route des Flandres répond-elle cependant à cette conception du moi et du personnage ? Dans ce roman, la notion de personne se montre a priori remise en question dans la mesure où les protagonistes sont confrontés à un monde où les conditions sont extrêmes et le danger de mort omniprésent. Le contexte de la guerre, dans lequel l'intégrité des corps n'est pas respectée, tendrait alors à laisser penser que le sujet se dissout et que, si ce dernier ne possède plus de "moi" propre, il ne peut, dès lors, plus être conséquent. Paradoxalement, la guerre est cependant racontée par les personnages, ce qui implique qu'ils conservent une certaine forme de conscience de leur personne et de leur intégrité. De plus, le rapprochement entre le concept de "moi" et de personnage suggère que l'auteur peut également se révéler à travers ceux qu'il met en scène. Quelle perception du moi apparaît alors dans le roman ? Et, plus largement, le comportement des personnages, leur conséquence ou leur inconséquence, ne sont-ils pas aussi, dans une certaine mesure, le reflet d'une réalité du "moi" qui dépasserait le simple cadre de l'oeuvre ? (...)
[...] Il est en ainsi notamment d'un échange entre Georges et Blum où l'identité des locuteurs reste floue dans la mesure où ceux-ci sont annoncés, dans plusieurs répliques de suite par et Georges (ou Blum) ou et Blum (ou Georges) Ils apparaissent ici interchangeables, ce qui laisse à supposer que la personne en elle-même ne possède que peu d'importance dans le roman et renforce la théorie selon laquelle on ne peut être le même pendant la durée d'un millième de seconde Si tel est le cas, on peut en effet penser qu'un être particulier ne peut être défini précisément. Or, l'impossibilité de savoir qui dit quoi corrobore cette théorie tout en déconstruisant la personnalité des principaux protagonistes. Inconséquence et ne pas être [soi] paraissent dès lors aller de pair et laissent le lecteur dans une situation délicate vis-à-vis des personnages. Spontanément, la lecture d'un roman peut en effet amener à tenter de s'identifier à ces derniers. Cependant, ceux-ci étant aliénés par l'écriture, cette identification se révèle difficile, si ce n'est impossible. [...]
[...] Dans ce roman, la notion de personne se montre a priori remise en question dans la mesure où les protagonistes sont confrontés à un monde où les conditions sont extrêmes et le danger de mort omniprésent. Le contexte de la guerre, dans lequel l'intégrité des corps n'est pas respectée, tendrait alors à laisser penser que le sujet se dissout et que, si ce dernier ne possède plus de moi propre, il ne peut, dès lors, plus être conséquent. Paradoxalement, la guerre est cependant racontée par les personnages, ce qui implique qu'ils conservent une certaine forme de conscience de leur personne et de leur intégrité. [...]
[...] Corinne, ici, n'est pas elle ; elle est une autre, sujet de représentation des personnages masculins. Mais le roman va cependant plus loin. Ne se contentant pas de présenter Corinne comme un objet de fantasme, Claude Simon va jusqu'à la phagocyter par le biais d'une autre figure féminine : celle de Virginie. Un parallèle est en ce sens établi entre les deux femmes : chacune a épousé un de Reixach, chacune lui a été infidèle, chacune est, dans l'imagination des soldats, la représentation du dessin d'un sexe, objet d'évasion dont la présence n'est pas indispensable, ce que confirment les récriminations de la veuve qui se plaint de n'être perçue que comme un ovale partagé en deux et des rayons tout autour comme un soleil ou un œil vertical fermé entouré de cils et même pas de figure et ne cesse de reprocher à Georges de n'être pas avec elle allant jusqu'à lui demander m'aimes-tu pour ce que je suis? [...]
[...] Cela contribue également à montrer l'inconstance des personnages, mais aussi celle de l'écrivain : lui-même se révèle ainsi changeant au cours du roman en faisant de la sorte varier les modes de narration. Si la question qui parle? se pose souvent dans La Route des Flandres et si la difficulté à y trouver une réponse précise témoigne à la fois d'une érosion de l'identité et de l'inconséquence des personnages, une autre interrogation apparaît également, laissant aussi planer le doute sur la conception du moi dans le roman : où suis-je ? [...]
[...] Traditionnellement, l'identité d'un personnage de roman se construit dans un premier temps à travers son nom et ses caractéristiques physiques, ces dernières pouvant conduire à son portrait moral. Or, dans La Route des Flandres, si les personnages ont bien des noms, leur état-civil est souvent incomplet et se limite à un prénom (Georges, Corinne, Iglésia) ou un nom (Blum, Wack, de Reixach). De plus, lorsque ce nom est significatif d'un trait de caractère du personnage Reixach que l'on peut considérer comme étant composé du latin rex roi et de l'allemand Schach échec, ce qui résume la destinée du personnage), il est déformé dans sa prononciation, ce qui conduit à déconstruire ces caractéristiques qui fournissent des indications sur la personne. [...]
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