Peut-on dire la vérité sur soi-même ? Oui selon Rousseau. Il accorde ainsi à l'autobiographie les chances qu'il refuse au regard du peintre dont l'observation de son modèle se borne à son apparence extérieure. Seul l'autobiographe peut atteindre la vérité infinie du modèle intérieur. Il engage dès lors la littérature dans un champ d'écriture encore vierge. Conscient d'être le seul détenteur de l'image universellement valable de l'homme, il a cherché à rendre son âme transparente au lecteur par l'écriture dans un souci de justification. Rousseau veut révéler par la narration historique l'originalité de son être, de son intimité. Il veut dévoiler au grand jour ce qui fait sa singularité. En ce sens, l'acte d'écriture engage l'artiste et l'homme et par là même les découvre. Mais Rousseau a ressenti toute la précarité de l'expression littéraire. Sa tâche va consister à trouver un moyen de traduire en langage efficace une évidence intérieure qu'il ne se résigne pas à tenir pour incommunicable. Rousseau veut expressément se confier à un langage qui le représentera et dans lequel il pourra reconnaître sa propre essence. La chance d'atteindre le vrai pourra alors se réaliser dans la liberté accordée à la parole et dans le mouvement spontané du langage.
Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure Rousseau a-t-il su faire de l'exploration immédiate de son être, le foyer d'invention d'une nouvelle littérature ? S'il a envisagé l'acte d'écrire comme le dévoilement même de la vérité, il l'a cependant subordonné à son acte de plaidoirie adressé la communauté universelle des hommes. On peut néanmoins remettre en doute l'authenticité de son témoignage.
[...] Rousseau interroge la puissance du langage à retranscrire la pureté originelle de l'intimité. Pour rendre compte des modifications de son âme et de leurs successions, il renonce à donner de l'ordre et de la méthode à son écriture car elle l'écarterait alors de ce but. Il adopte donc un style spontané autant qu'harmonieux qui tire sa richesse de l'antithèse : Je prends donc mon pari sur le style comme sur les choses. Je ne m'attacherai point à le rendre uniforme ; j'aurai toujours celui qui me viendra, j'en changerai selon mon humeur Rousseau se caractérise donc par un style antinomique qui cherche à traduire le plus fidèlement possible les états complexes de son âme. [...]
[...] Selon Maurice Blanchot, si Rousseau a été contraint de se justifier en se racontant sans cesse, c'est par crainte d'un procès injustifié qui l'obligeait à convaincre son juge en recourant à la rhétorique. Il est un être toute en contradiction et ce passage en est l'illustration par ce dédoublement stylistique qu'analyse Maurice Blanchot. En effet, la dualité de son être trouve son écho dans la discorde entre la parole originelle, immédiate et la parole littéraire justificatrice et travaillée. Rousseau est un être déchirer par les mutations qui l'agitent. [...]
[...] VRIN Paris, p Guéhenno, Jean, Jean-Jacques, Histoire d'une conscience, Tome II, Grandeur et misère d'un esprit, éd. Gallimard 2ème éd p Rousseau, Lettres à Sophie, IV, S. M Burgelin, Pierre, La philosophie de l'existence de J.J. Rousseau, coll. Librairie Philosophique J. VRIN Paris Guéhenno, Jean, Jean-Jacques, Histoire d'une conscience, Tome II, Grandeur et misère d'un esprit, éd. Gallimard 2ème éd p Starobinski, Jean, J.J. Rousseau La transparence et l'obstacle, Coll. Bibliothèque des idées, éd. Gallimard p. [...]
[...] Elle était de caractère lyrique, et l'homme le plus humble en savait plus sur elle par l'intuition et l'extase L'introspection de son être a véritablement donné naissance à un nouveau champ d'écriture littéraire. Rousseau a inventé l'attitude nouvelle qui deviendra celle de la littérature moderne. Selon Starobinski, on peut dire qu'il a été le premier à vivre d'une façon exemplaire le dangereux pacte du moi avec le langage : la nouvelle alliance dans laquelle l'homme se fait verbe Journal intime, éd. B. [...]
[...] Peut-être est-il impossible à un écrivain d'être tout à fait sincère : son premier cri lui sort du cœur, mais il n'a pas déjà commencé à écrire qu'il est séduit par lui-même, tout ému par sa propre voix : alors il cesse d'être lui-même pour devenir son personnage, tel qu'il veut être regardé. Voici donc ce qu'il croit être, mais plutôt voici tel qu'il souhaite qu'on le voit. La sincérité est un système clos. On n'y entre pas. Un homme sincère est imbattable. On ne viendra jamais à bout de lui montrer qu'il ne l'est pas. C'est fondamentalement un homme qui a ses règles à lui. Celles des autres ne valent pas pour lui. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture