L'écriture poétique a parfois été vue comme l'atteinte d'un monde idéal, reflet de la réalité. Pour François Rigolot, il convient de préciser que « la poésie est un fabuleux manteau jeté sur la réalité pour susciter l'imagination ». Le présent de vérité général du verbe « être » dont le sujet est la poésie confère à la phrase son caractère de définition et laisse penser par là que l'art poétique se limite à son rôle de « manteau », ou de cache. Ainsi, l'allégorie proposée ici réduit la poésie à un voile masquant une réalité qui, crûment exposée, n'atteindrait pas ce but de « susciter l'imagination » introduit par la préposition « pour ». Dans quelle mesure le recueil Les Amours de Ronsard dissimule-t-il le réel derrière une invitation à faire fonctionner l'imagination du lecteur ? (...)
[...] La poésie ici prédi[rait] la réalité du sort de l'amant-poète qui la sert (comme l'indique le gérondif en [ ] servant qui suit le futur mourrai : en effet, l'allitération en r au long des trois vers reflète la dureté de ce sort. Mais paradoxalement, cette prédiction est le fruit d'un procédé poétique, et s'inscrit par là dans une esthétique qui est propre à la poésie et n'est pas possible sans elle : ce paradoxe est matérialisé par le connecteur d'opposition mais introduisant le troisième vers, soit la volta du sonnet qui révèle que la poésie n'est point croiable dans la mesure où elle cache ses propres oracles malheureux d'un faux espoir comme Ronsard l'écrira dans un vers ultérieur du même sonnet. [...]
[...] Ainsi, Ronsard fait voir par la poésie ce qui était jusqu'alors invisible dans le monde objectif. Cette exhibition de la réalité est encore plus directe au sonnet 47 : Je veus pourir pour tes beautés, Maistresse / Pour ce bel œil, qui me prit à son hain / Pour ce doux ris, pour ce baiser tout plein. L'énumération de caractéristiques telles que l' œil le ris ou le baiser relève du discrous descriptif portant sur un objet explicité par l'apostrophe du premier vers : Maistresse Ce discours est déjà celui de l'affirmation de l'objet réel, mais le poème va plus loin que la simple description. [...]
[...] Le poète a auparavant fait allusion à l'écriture poétique suscité par le nom de l'aimée, ce à quoi réfère le possessif sa Ce quatrain opère, par ses rimes embrassées, un va-et-vient entre, d'une part, l'état passivement subi du poète exprimé par les adjectifs épovanté et tourmenté et d'autre part l'action de la poésie concentrée dans les verbes martire et retire ».Ainsi, le poète est clairement l'objet d'une action manipulatrice et agressive rendue telle par la dure acuité des rimes en ire Cette idée est renforcée par la double occurrence de la première personne en complément d'objet direct me par le contraste entre les verbes d'action déjà mentionnés et le verbe être dont le poète est sujet, mais également par l'empêchement que peut exercer la poésie, représenté par la préposition privative sans suivie d'un infinitif. Une fois de plus, la poésie est donc conçue comme sujet d'une action influant sur la réalité. Conclusion Pour conclure, nous pouvons affirmer que la réflexion de François Rigolot s'applique aisément à l'œuvre de Ronsard. L'analyse des Amours comme un fabuleux manteau jeté sur la réalité nous amène à découvrir que cette dernière prend forme et se découvre également par la poésie, qui peut même être actrice elle-même du réel qu'elle décrit. [...]
[...] Le quatrain suivant entame le sonnet 194 : Les vers d'Homere entreleus d'avanture / Soit par destin, par rencontre, ou par sort, / En ma faveur chantent tous d'un accord / La garison du tourment que j'endure. Le groupe nominal les vers d'Homere fait allusion par métonymie à la poésie, et se trouve sujet de l'action. Retardant cette dernière pour la mettre en valeur, le second vers accumule les compléments circonstanciels de moyens possibles introduits par l'anaphore de la préposition par Nous pouvons noter que les alternatives structurées par soit et ou trahissent l'ignorance de cette information, focalisant d'autant plus l'insistance sur l'action même et son objet : ceux-ci sont exposés aux deux vers suivants. [...]
[...] LES AMOURS DE RONSARD Introduction L'écriture poétique a parfois été vue comme l'atteinte d'un monde idéal, reflet de la réalité. Pour François Rigolot, il convient de préciser que la poésie est un fabuleux manteau jeté sur la réalité pour susciter l'imagination Le présent de vérité général du verbe être dont le sujet est la poésie confère à la phrase son caractère de définition et laisse penser par là que l'art poétique se limite à son rôle de manteau ou de cache. [...]
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