Pour Victor Hugo "la mélancolie, c'est le bonheur d'être triste" ; et s'il existe au moins un point commun entre tous les hommes romantiques, c'est bien cet aspect paradoxal. Le romantisme trouve une partie de sa raison d'être dans une sensibilité qui s'exprime tantôt avec une ferveur brulante et exaltée, tantôt avec une mélancolie profonde et langoureuse.
Le héros romantique est donc habité par des sentiments très contradictoires : par exemple il passe de l'abattement (jusqu'à des envies de suicide) à l'exaltation (avec une admiration de la vie, de la nature, de l'amour) ; de la mélancolie (le spleen et le fameux "mal" du siècle) à l'enthousiasme ; de la solitude dans laquelle il se complait à une communion bouillonnante avec le peuple ; des remords passés à une espèce de nostalgie du temps présent ; de l'abandon émerveillé devant le monde extérieur à l'introspection dans les tourments de son Moi ; etc.
On l'aura compris, l'homme romantique se construit dans le paradoxe, comme le montre d'ailleurs cette citation de Lamartine, tirée de ses Méditations poétiques :
"L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux [...]
Dans la prison des sens enchaîné sur la terre,
Esclave, il sent un coeur né pour la liberté ;
Malheureux, il aspire à la félicité ;
Il veut aimer toujours, ce qu'il aime est fragile !
Tout mortel est semblable à l'exilé d'Eden [...] »
On remarque d'emblée, dans les termes de cet énoncé, plusieurs oppositions caractéristiques de la situation contradictoire du romantique : "homme, mortel, exilé d'Eden" opposés à "Dieu" ; "tombé, terre" opposés à "cieux" ; "prison, enchaîné, esclave" opposés à "liberté" ; "malheureux" opposé à "félicité" ; "toujours" à "fragile"... Et il faut noter que cette position est aussi consciente que volontaire, pour le romantique de génie - elle est même recherchée par lui, dans une conception presque "doloriste" de l'existence et une quête éprouvante qui n'épargne pas sa sensibilité. Car comme le dit Werther dans sa lettre du 9 mai : son "coeur est sa seule fierté" parce qu'il est "seul la source de tout, de toute force, de tout bonheur, et de toute misère". Le romantique est donc avant tout un coeur contrarié.
Dès lors, on peut s'interroger sur cette position tourmentée du romantique, notamment représentée par Lamartine dans ces vers, en étudiant la problématique suivante : dans quelle mesure l'être romantique est-il nécessairement pétri de contradictions ? (...)
[...] Ce sentiment mélancolique, entre douleur, rêverie et bonheur, est entretenu par certains romantiques car il est source d'inspiration. C'est ce qu'écrit le narrateur d'Eugène Onéguine, pour lequel quiconque est poète aime la rêverie d'amour qui inspire la chanson mélancolique C'est pour cela que le cœur de Werther fermente de lui-même car le romantique rumine sa mélancolie et ressasse les tourments de son cœur pour en faire le prisme au travers duquel il considère le monde. C'est aussi pourquoi Werther ne parvient pas à se détacher de Charlotte, et qu'il reste dans une situation contradictoire qui laisse parfois émerger quelques moments de plaisirs parmi la souffrance. [...]
[...] Elle a reçu le scapulaire qui lie pour jamais et a été menacée par sa mère expirante d'une malédiction, si jamais [elle] romp[ait] [ses] vœux L'amour avec Chactas est donc impossible, croit-elle, et elle se donne la mort pour mettre fin à son chagrin malheureusement elle apprendra pendant qu'elle agonise qu'il existait une solution chrétienne pour qu'elle soit relevée de ses vœux - On trouve un autre exemple d'amour impossible dans René, cette fois, avec la passion incestueuse entre René et sa sœur Amélie. Et parce qu'un amour incestueux est l'une des pires choses qui puisse exister du point de vue des lois sociales, culturelles, naturelles et religieuses Amélie prend la décision de se retirer dans un couvant, loin du monde et surtout de son frère. Avec la représentation de cet amour impossible Chateaubriand illustre la contradiction entre la force du désir adolescent et les possibilités concrètes de sa réalisation. [...]
[...] Le romantique est donc contrarié, dans sa quête de spiritualité et de transcendance, par sa propre condition humaine : il est une créature terrestre limité par la nature dans la prison des sens Par ailleurs, dans sa recherche de la félicité qui le conduit à interroger son intériorité, il est confronté à l'aspect changeant de ses états d'âmes voire à des exagérations contradictoires qui peuvent être la source de remords, et qui viennent nourrir les tourments de son cœur en substituant la mélancolie au bonheur. Du reste, la contradiction romantique entre idéal et réalité s'applique aussi à la notion de liberté car de fait, Onéguine dit : Oh ! [...]
[...] - Le romantique a conscience de cette situation. Dans sa lettre du 22 mai Werther écrit par exemple que la vie humaine [et a fortiori celle de l'homme romantique] est un songe ; il considère les bornes étroites dans lesquelles sont circonscrites les facultés de l'homme et qualifie l'existence humaine de misérable bref, l'homme romantique, plus que quiconque, est au fait de sa petitesse. C'est en grande partie pourquoi, comme il l'écrit plus loin, il rentre en [lui]-même et y trouve un monde ; car de fait, puisque le romantique est partagé entre ses idéaux et l'expérience désenchantée du monde, il peut espérer trouver dans l'exploration introspective de son Moi une autre forme d'absolu. [...]
[...] - La contradiction selon laquelle le romantique cherche la félicité, mais se complait paradoxalement avec une certaine aise dans la mélancolie, est une tendance notable de la sensibilité romantique. On s'en rend compte avec la citation de Victor Hugo reproduite plus haut, ou encore avec cette phrase de Lamartine extraite d'une lettre, dans laquelle il explique que la lecture de Werther l'a assombri mais que vive cette tristesse- là ! - Le rapport du romantique à la souffrance et donc à l'amour est ambigu. [...]
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