Dans une classe de Première, dans le cadre d'un travail sur l'objet d'étude « Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde », vous étudierez le groupement de textes suivant. Vous présenterez votre projet d'ensemble et les modalités de son exploitation en classe.
Vous utiliserez le document en annexe – en totalité ou en partie – à votre gré, sans qu'il soit obligatoire de consacrer à son analyse une ou plusieurs séances.
[Textes proposés : explicit de Manon Lescaut de l'abbé Prévost et de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, incipit de Malone meurt de Samuel Beckett, un extrait des Illusions perdues de Balzac (Lucien tente de se suicider) et un extrait du Don des morts de Danièle Sallenave. ]
« La situation narrative de base comprend le personnage » affirme Charles Grivel dans son ouvrage intitulé Production de l'intérêt romanesque. Autant dire que pour ce critique, comme pour la majorité des lecteurs, d'ailleurs, il n'y a pas de roman sans personnage. Ce dernier joue en effet un rôle essentiel dans la création de l'illusion réaliste et se trouve souvent à l'origine du processus d'identification qui permet au lecteur, à travers la découverte de l'autre, de mieux se comprendre. Aussi l'introduction récente, pour la rentrée 2007, d'un nouvel objet d'étude pour la classe de première intitulé « Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde » se veut-il l'occasion d'affiner et de stimuler à la fois la lecture de romans chez des élèves qui, souvent, privilégient ce genre littéraire, tout en abordant, selon les Instructions Officielles, « le roman comme une forme littéraire privilégiée de représentation de l'homme et du monde ».
A travers une même thématique, celle de la disparition, réelle ou projetée, du protagoniste, les cinq textes littéraires proposés ici mettent en lumière différentes ressources stylistiques propres à exprimer la mort, et cela avec une grande diachronie puisque les œuvres étudiées s'étendent sur trois siècles. Tandis que l'explicit de la Princesse de Clèves retrace, à l'aide d'un récit très dépouillé, le renoncement du personnage éponyme à l'amour du Duc de Nemours et, partant, à la vie, celui de Manon Lescaut montre plutôt les suites et les conséquences de la mort de l'héroïne sur son amant, le Chevalier Des Grieux, à travers le récit des actions qu'il exécute dans le but de lui rendre ce qu'on nomme traditionnellement les « derniers devoirs ». L'extrait du roman balzacien Illusions perdues constitue davantage une réflexion sur le suicide, le narrateur développant amplement ses idées sur la question avant de revenir au protagoniste, Lucien de Rubempré, pour peindre avec force ironie son état d'esprit au moment de mettre son projet à exécution. L'incipit de Malone meurt, une des premières œuvres de Samuel Beckett, se détache à plusieurs titres des textes précédents dans la mesure où il s'ouvre par la mort du protagoniste - mort qu'annonçait déjà, au demeurant, le titre du roman – et l'envisage à la première personne, le narrateur étant donc en même temps celui qui va mourir. Quant à l'extrait d'Entre la vie et la mort, roman de Nathalie Sarraute, il recourt au même procédé mais l'amplifie en faisant de la mort un mode d'écriture expérimentale autant qu'un contenu.
Les textes proposés, s'ils offrent ainsi une relative proximité générique et thématique, n'en sont pas moins très représentatifs de la diversité du genre, notamment en raison des statuts variés des narrateurs, tantôt très distants vis-à-vis des personnages, tantôt tellement proches qu'ils se confondent avec eux. Aussi seront-ils l'occasion de questionner l'évolution du genre romanesque en s'interrogeant sur le paradoxe apparent que représente la mort de son protagoniste : comment le roman, qui se nourrit généralement de la constitution du ou des personnage(s), peut-il écrire la mort de ce dernier ? On montrera donc comment la représentation de la mort du personnage dans le roman met en question les limites du genre romanesque dans la mesure où le roman tente de dire l'indicible.
[...] Le texte de Beckett utilise abondamment les pronoms déictiques de la première personne, et notamment le je qui devient presque obsessionnel tant il envahit le discours. Il est d'ailleurs souvent en position du sujet des verbes, parmi lesquels on trouve souvent ceux de paroles ou de pensées, avec par exemple quatre occurrences du verbe dire auquel s'ajoutent les verbes raconter ou répondre : ce texte viserait donc essentiellement à mettre en scène la parole et à interroger ses pouvoirs, ses errements ou même son impuissance, comme l'attestent des questions telles que Que dis-je ou Qu'est-ce que j'ai dit là ? [...]
[...] Le roman, et en particulier le personnage, le type (que l'auteur définit encore comme le modèle du genre est alors un instrument de connaissance de la nature humaine, et cette volonté didactique se retrouve clairement dans la première moitié de notre extrait, comme l'indique par exemple l'usage du présent à valeur gnomique, et la revendication initiale de l'utilité d'un propos qui se présente comme inédit. Il s'agit d'emblée de justifier cet excursus qui découle, contrairement aux rares autres exposés sur le sujet, d'une stricte observation de la nature humaine. Le narrateur fait alors appel à la curiosité du lecteur ainsi qu'à sa connivence, comme le montrent les pronoms personnels des première et deuxième personnes du pluriel, vous s'adressant directement à ce dernier tandis que nous en incluant le lecteur dans les propos du narrateur, vise à forcer son adhésion. [...]
[...] On pourrait même aller plus loin et montrer comment la mort du personnage met à mort le roman au profit d'une création verbale aux contours flous : Beckett penche vers le théâtre, Sarraute se dit plus qu'elle ne raconte finalement, et c'est toute la difficulté de créer de la fiction face à un réel illusoire qui se dit. Cette séance a donc permis aux élèves, à partir des savoirs construits au cours de la séquence, d'aborder des textes difficiles à l'aide d'outils d'analyse précis pour mieux comprendre l'évolution du genre romanesque qui se traduit ici par l'évolution de la conception du personnage. [...]
[...] Et cette prédominance du sens visuel est un écho amplifié des enjeux de l'œuvre, rappelant à la fois la scène de la première rencontre et celle de la maison de campagne, où un envoyé de M. de Clèves épie M. de Nemours en train d'observer Mme de Clèves qui contemple le portrait de celui qu'elle aime. Le regard est donc une des clefs de la séduction, et le moyen privilégié d'expression du sentiment amoureux. [...]
[...] Il s'agit alors de stigmatiser le poète ambitieux, lequel se donne à lire à travers le style employé par le narrateur pour caractériser ses actes et ses pensées dans le second paragraphe de notre extrait. On remarque ainsi une forte propension à l'excès et à l'exagération caractéristiques de l'enthousiasme du personnage - dans l'utilisation des champs lexicaux : alors que le personnage songeait à s'aller jeter dans la Charente il tomba dans la délibération des moyens et poursuivit sa réflexion en descendant les rampes de Beaulieu (terme pour le moins antiphrastique) : la chute programmée et progressive semble alors correspondre au titre du roman et s'oppose à l'ascension sociale que Lucien se proposait à son arrivée à Paris. [...]
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